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cheikh Nasser, lui succéda, et fit la collecte pour le dieu, jusqu’à ce que le Gouvernement se saisît de l’argent et le fit jeter en prison à Damas ! Mais du fond de sa prison, Nasser disait : « Cet argent n’est pas perdu. Mohammed Shah saura nous le faire rendre. »

— Comment est-il, le cheikh Nasser ?

— C’est un homme simple.

— Croyant ?

— Certainement, affirme mon hôte. Sans cela, aurait-il supporté la prison ? Et ses deux frères, plus âgés que lui, sont morts en prison pour la même cause.

— Bah ! dit le Caïmakan, nous finissons toujours par croire à ce qui nous rapporte de l’argent.

— Et ce Mohammed Shah ?

— Peuh ! continue le Caïmakan, j’ai rencontré dans la gare d’Homs un cheikh indien qui m’a dit : « Le dieu des Ismaéliens, c’est mon camarade d’école. Il est un dieu comme vous et moi. »

— Tout de même, dis-je avec humeur, vous et moi, on ne nous met pas sur les autels.

— Ah ! cher monsieur, vous croyez à leur religion ? Vous prenez à la lettre leurs prières ? Vous ne soupçonnez pas ce qui s’y cache. Laissez-moi vous conter un souvenir. Un jour, à Baalbek, me trouvant à dîner avec plusieurs cheikhs musulmans, je fis observer que tous les livres des Druses commencent par cette phrase : « J’ai mis ma confiance dans le Seigneur Hakim, » et tous les livres des Nosseïris, par cette phrase : « Celui qui a progressé est entré sous le gouvernement du Chauve. » Il y a là un sens caché. Hakim, pour le profane, c’est bien le sultan fatimiste du Caire, mais Hakim, en tant que Dieu, pour les initiés, c’est une tout autre chose. Quant au Chauve, c’est Ali qu’ils adorent comme divinité, et puis c’est encore une tout autre chose. Et ces deux-là, vous m’entendez, Hakim et le Chauve, depuis l’origine des temps, se complètent.

— Vous me parlez Druses et Nosseïris, mais c’est des Ismaéliens qu’il s’agit.

— La grande fête annuelle des Ismaéliens s’appelle la fête « El Gadir. » L’héroïne en est une jeune fille qui doit être née le jour d’une fête « el gadir » et présenter beaucoup d’agrément physique. On la nomme elle-même « el gadirate. » Les cérémonies, plus qu’étranges, dont elle est l’objet, se déroulent devant les