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DE QADMOUS À BAWAS

Notre route vers Banias est dite « carrossable, »en réalité une route à peine ébauchée, où affleurent de larges bancs de roches sur lesquels nos chevaux se tiennent difficilement. Elle se déroule à flanc de colline, et nous avons à droite une vallée immense. Après deux heures de chevauchée, halte à la source, pour déjeuner. Auprès d’elle, un clos d’une vingtaine de figuiers, fermé complètement de pierres entassées. C’est l’Hortus conclusus. Le pauvre homme qui l’habite s’empresse de faire une brèche dans sa muraille. Nous jetons des tapis sur les figues. Ce n’est rien, et cela semble une merveille.

Après déjeuner, continuant notre route, nous apercevons, séparé de nous par dévastés espaces, et dans un cirque superbe, un piton isolé, un cylindre gigantesque de rochers à pic. Le jeune Abdallah Elias pose sur cet horizon le nom d’OIlaïqah, et voilà le site tout transfiguré par ce beau sortilège de mes lectures… Comme je m’ennuierais de me promener dans de tels sentiers, si je n’avais pas leurs grands hommes dans l’esprit ! Le poème étrange s’est écroulé plus vite que les pierres des châteaux. Je suis ivre des souvenirs qui, de ces vallées sinistres, se sont réfugiés dans nos bibliothèques d’Occident. Et grâce à mes livres, dont mes poches sont remplies, je suis tenté de me croire le confident de cette vieille aventure.

Sur la ruse par laquelle Rachid-eddin s’empara d’OIlaïqah, nous avons une anecdote d’Abou-Feras. Hasan envoie un présent au gouverneur de la citadelle. Celui-ci, tout occupé à boire, et sans plus réfléchir, remet au lendemain de recevoir les porteurs et leur fait donner l’hospitalité dans la forteresse. Au cours de la nuit, ils en ouvrent les portes à Sinan… L’histoire de tous ces puissants châteaux est toujours pareille. On ne les prenait quasi jamais de vive force, mais toujours par trahison.

Vers cinq heures, après une longue descente sur des crêtes de collines vers la mer, nous arrivons à Banias. Comme à Qadmous, une escorte de gendarmes nous attend à l’entrée de la petite ville. Défilé assez solennel, et réception immédiate au Konack du Caïmakan, Hussein Effendi Massarani. Un lettré indigène m’adresse un discours, auquel je réponds quelques mots. Verres de limonade.

Nous ne faisons que toucher barre à notre camp, dressé tout