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L’impression est si soudaine et inattendue, si véhémente et agréable, que vous avez envie de crier, de chanter à tue-tête, enfin de vous livrer à toutes les manifestations extérieures de la joie, et même les plus enfantines. Elle ne fera jusqu’au soir que grandir. Ce bleu et ce blanc vont changer, se transformer, s’exalter, crier et chanter eux aussi. Peu à peu le ciel au couchant s’embrasera et répandra sur la neige une brassée de fleurs de toutes nuances, un torrent de feu. La neige sera tour à tour violette, mauve, rose et dorée. Sur ces bouquets renversés, le petit train, de son allure correcte, continuera d’avancer comme s’il ménageait les surprises. Çà et là surgiront des villages paisibles, aux maisons à demi ensevelies : Château d’Oeix avec son église romane debout sur un tertre comme une statue sur son piédestal, Rougemont, dernier foyer de la Suisse romande, avec sa jolie chapelle basse entourée d’un cimetière, Saanen aux beaux vieux chalets solides qui défient les ans.

Puis les petites lumières s’allument, bien qu’il fasse clair encore. Mais la force électrique, fournie par les abondantes eaux, coûte si peu que l’on ne songe point à l’économiser à l’heure du chien-et-loup, et voici que le Palais de neige apparaît. Le Palais de neige, c’est le palace qui domine le village bernois de Gstaad, sorte de château fort à qui l’ombre est propice, car elle ne lui laisse que son apparence de forteresse confortable et dissimule l’architecture puérile et prétentieuse de son donjon. Toutes ses vitres illuminées font sur la neige bleuie une tache rouge. Il appelle, il invite, il attire la vallée qui, à Gstaad, s’élargit, devient un cirque entouré de montagnes favorables au ski et à la luge, à tous les sports d’hiver. Que de voyageurs s’arrêtent à cette gare, laissent repartir le petit train qui gravit le col de Saanenmöser pour redescendre sur Zweisimmen et Interlaken ! Là ils trouveront les traîneaux à deux ou quatre chevaux, recouverts de chaudes peaux de bêtes, qui les déposeront, le visage fouetté par un air si vivifiant qu’il ne paraît pas froid, au seuil des nombreux hôtels, ou sous le porche de l’accueillant Palais de neige que devrait surmonter le drapeau aux trois couleurs de la montagne en hiver : bleu, blanc, or…


Ainsi fut déposé à la nuit tombante, au début de ce dernier mois de février, sous le porche illuminé de ce Palais de légende, Maurice Aynaud-Marnière, ébloui non point tant par le spectacle