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Tout en chevauchant, je me suis rapproché du Père Colnhgette. Il me dit que son collègue, le Père Lammens, bon arabisant, habitué au pays, certainement l’homme qui connait le mieux les Nosseïris, a assisté à la mort d’un de leurs cheikhs.

— Ce pauvre païen faisait des invocations qui n’auraient pas été déplacées dans la bouche d’un chrétien. Il invoqua saint Jean Chrysostome… Pourquoi ?.. Nous savons par ailleurs que saint Jean Chrysostome a envoyé des missionnaires dans ce pays…

À partir de Hammam-el-Wassel, on descend une pente douce, et bientôt l’on commence à apercevoir, dans d’immenses espaces, au creux d’un vallon profond, le promontoire sur lequel règne Qalaat el Kaf.

Nous l’apercevons, ce sombre but de nos pensées ; nous y marchons, et soudain nous constatons qu’il occupe une hauteur que nous ne pouvons atteindre qu’en descendant pour remonter ensuite. Mais comment descendre ces parois lisses, ces rochers à pic ? Il nous faut contourner la montagne, de façon à aborder, par une autre vallée, qui court du Nord au Sud, la pointe Nord du promontoire, c’est-à-dire le socle du château.

Et cette descente, qu’elle est difficile ! Des escaliers, des tables de rochers, d’où les chevaux risquent de glisser dans l’abime, nous mènent sur une rivière. Celle-ci traversée, nous montons une berge, que nous redescendons pour retrouver une seconde rivière. C’est à s’estropier ! Mais quand il n’y aurait pas le Vieux de la Montagne à rejoindre dans son repaire central, cette horreur de site vaudrait qu’on prit la peine de s’y venir heurter l’âme. J’ai passé les deux rivières ou torrents ; me voici à pied d’œuvre : le château se dresse à pic, à cent cinquante mètres au-dessus de ma tête, sur sa table de rochers. En avant ! Les Arabes me saisissent, et triomphalement poussé, tiré, porté, j’arrive sur la terrasse.

Magnifique site, au centre d’un massif inextricable de rochers et de vallées, qui en empêchent l’accès ! Je parcours cet îlot rocheux, orienté de l’Est à l’Ouest, et formant promontoire au confluent de trois vallées profondes, si peu larges que les bergers se parlent de l’un à l’autre bord. Un massif d’érosion une table elliptique, dont le grand axe peut avoir trois cents mètres au sommet, sur cinquante à soixante dans sa plus grande largeur. Je viens de voir, dans mon escalade, le débris