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une affaire, un voyage, il venait y réfléchir devant cette fenêtre. Et le seigneur le voyait. Au bout de peu, le serviteur du seigneur sortait et disait à l’homme : « Ton affaire réussira, » ou bien, « Ton voyage échouera ! » Et celui-ci, selon cette réponse, abandonnait ou exécutait son projet.

Souvent, la nuit, le seigneur Rachid montait au sommet des montagnes voisines, et laissant son cheval à son écuyer, il se tenait dans la solitude. Une nuit, l’écuyer s’enhardit jusqu’à s’approcher, et voici qu’il vit un oiseau vert aux grandes ailes qui causait avec le seigneur. Un peu avant l’aube, l’oiseau s’étant envolé, le seigneur se leva et rejoignit son cheval. L’écuyer osa alors l’interroger sur cet oiseau vert. « C’est, répondit Rachid, le seigneur Hasan Aladhikrihis-Salâm, le Grand-Maître de Perse, qui vient me demander assistance. »

Ces anecdotes sont relatées par Abou-Feras. Elles donnent une idée de l’absolue possession que Rachid avait prise de ces pauvres esprits.

Les Qadmousiens me racontèrent d’autres histoires. Je crains de les dénaturer. En 1914 nous n’avions pas, pour ces conversations, les facilités qu’apportent aujourd’hui les excellents interprètes de l’armée.

Des montagnes voisines se détachent, çà et là, plusieurs pitons ; l’Émir m’indique l’un d’eux, tout près de nous, au Nord, qui porte, me dit-il, le tombeau de Mollah-Hasan, le fils de Rachid-eddin Sinan. Il domine le pays, et je vois avec plaisir que j’ai passé ma nuit dans une dépression, entre la forteresse et ce tombeau du fils de l’homme que j’admire.

Les hauts lieux dont ce pays est semé, m’explique encore l’Émir, s’appellent Mazar. Un certain nombre d’entre eux sont nommés Gharbi, ce qui veut dire occidental, et renferment des restes d’Européens, de chefs croisés, ou bien encore on y voit des inscriptions romaines.

Rachid-eddin est enterré au Kaf, où je vais aller tout à l’heure. L’Émir le tient pour un chef politique, non pour un chef religieux. Son tombeau, auprès duquel subsistent des vestiges de maison, est une coupole en très bon état avec un caveau. On y va beaucoup dans la saison d’été, et en arrivant on égorge des moutons. On y met des lampes, la veille de chaque vendredi, et des chiffons bleus. Il s’y produit souvent des miracles. Sur le tombeau aussi de Mollah-Hassan, le fils de Rachid-eddin, on