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monde musulman, Abdallah prétend que les Nosseïriennes la prennent depuis le temps des Croisades. Les Ismaéliennes se voilent à la ville, et vont demi voilées dans les champs.

Que voilà un aimable monde ! Un Anglais, le chapelain Lyde, qui est venu ici en 1850, décrit un Qadmous tout rempli d’émirs, qu’il peint comme des petits princes héréditaires, vêtus d’une manière somptueuse. Un autre voyageur, Walpole, raconte que les femmes de Qadmous sont presque toutes habillées de soie : des vêtements bigarrés de rouge et de noir, avec des dessous noirs, bleus et blancs, et le paletot syrien à manches brodées. Pour moi, je suis charmé par le fils du moudir, un petit garçon de huit à douze ans, du nom de Mohammed Effendi Pacha, avec une âme sérieuse d’enfant. Il m’offre des fleurs. Je veux lui en donner une. « Non, me dit-il, quand quelqu’un a apporté quelque chose, il n’est pas joli qu’il en accepte une part. » Je lui promets un album d’images d’Epinal. Il voudrait aller à Paris pour apprendre le français. Pendant toute la journée, il ne cesse pas de m’examiner avec un grand sérieux et une sorte d’inquiétude. Comme il aimerait comprendre ce qui se passe ! Il multiplie les questions à son grand ami Abdallah Effendi. C’est un de ces êtres, comme j’en ai tant vu ici, qui se meurent du désir de parler français.

Il y a beaucoup à faire avec de tels éléments. Des ruines qui portent de tels enfants me remplissent d’espérance. Le pays s’est desséché ; les montagnes s’effritent en pierrailles ; les religions et les sources ont glissé sous terre ; l’air semble empoisonné des poussières qui se sont échappées des grands temples antiques du soleil (Ladki Bey me collectionne des histoires saugrenues, dont je parlerai dans un chapitre spécial), mais, quand même, tout est digne d’amour et reverdira. Ces pays prennent un grand repos pour de puissants rebondissements.

— Savez-vous, me dit Ladki Bey, ce qu’ils pensent de vous ?

— Attention ! Ne me dites rien que d’agréable !

— Ils croient que vous venez pour préparer l’occupation, et que bientôt on va voir paraître les marins français.

Nous campons sous la tente, à l’entrée du village, au pied du tertre qui porte le château de Qadmous. Le plus profond et le plus agreste repos. Je le dirai une fois pour toutes, et d’une manière paisible et générale, afin d’éviter l’apparence même d’un reproche envers aucun de ces hôtes qui nous accueillent