Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/490

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bientôt sa ruine fut achevée par Ibrahim Pacha, qui n’entendait pas laisser de refuges aux indigènes…

(Ainsi en Orient, en France, en Allemagne, les burgs sont tous morts de la même manière et par un effet du même dessein politique. Partout le pouvoir central a voulu désarmer, ruiner, rendre impossible la vie politique locale.)

Je ne suis pas sans remords d’avoir dû exclure de mon itinéraire un certain nombre de châteaux des Hashâshins trop écartés, presque inabordables, dans les montagnes. J’essaye d’obtenir de mes hôtes quelques renseignements sur ces ruines que je ne visiterai pas.

Mohammed Zahiour connaît Ollaïqah. Il m’en fera voir l’emplacement, après-demain, sur l’horizon, dans notre descente sur Banias : c’est une grande masse rocheuse, un cylindre taillé à pic de tous les côtés, mais il m’assure qu’aucun vestige de construction n’y subsiste. Non loin d’OIIaïqah, dans le château de Meïnaka, vivait un cheikh très renommé, Abou-Feras… Parfaitement ! c’est celui dont j’ai le livre dans ma poche, celui que je commentais avant-hier à mes hôtes de Masyaf !… Mohammed Zahiour suit son idée ; il me récite douze vers qui furent dits par Rachid-eddin Sinan au grand Saladin, et, voici qui m’intéresse, ces douze vers ne sont pas dans mon exemplaire. Sous la dictée de notre hôte, Abdallah Elias veut bien les écrire sur mon carnet.

« De la part de Kiya (prince) Mohammed Sinan, surnommé Rachid-eddin Sinan, à Saladin (Salah-eddin Youssouf), roi d’Égypte.

» Les perroquets de l’époque se sont tus, et au matin la chauve-souris était seule à parler.

« Les damiers se sont vidés de leurs pièces, et les pions sont allés à dame.

« Le corbeau a attaqué l’aigle avec impétuosité, et le petit du hibou a chassé la buse.

« Les ânes boiteux ont brait ; j’ai été privé par le manque d’antériorité… »

(Voilà un poème obscur à souhait et qui par là pourra plaire aux amateurs, si nombreux, d’énigme. J’en dois la traduction à mon éminent confrère, M. Clément Huart, de l’Académie des Inscriptions. « Je ne sais pas, me dit-il, ce que signifie ce dernier hémistiche ; le mot que j’ai traduit par « antériorité » signifie