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Les survivants se réfugièrent à Hama, à Homs, à Tripoli… Les Nosseïris, dans la première chaleur du succès, s’emparèrent encore de trois autres châteaux des Ismaéliens, dont Qadmous. Puis Youssouf Pacha, gouverneur de Damas, intervint avec quatre ou cinq mille hommes. En vain quarante Nosseïris, dans le château de Masyaf, lui firent-ils une résistance de trois mois. Il parvint à les forcer ; il reconquit également les trois autres châteaux, et les rendit aux Ismaéliens, en gardant d’ailleurs pour lui tout le butin qu’il eut dû leur restituer.

Peu après, en 1912, Burckardt arrivant à Masyaf, y trouva deux cent cinquante familles ismaéliennes et trente familles chrétiennes. Leur émir, logé dans le château, était un neveu du Soleiman tué par les Nosseïris, et ses parents régnaient dans les châteaux ismaéliens de Qadmous, du Kaf, d’Ollaïqah, de Marqab. Sous des dehors apaisés, les deux sectes se haïssaient à mort. « Croyez-vous, disait à Burckardt un beau jeune homme tout étincelant de colère, croyez-vous que cette barbe deviendra grise sans que j’aie vengé ma femme et mes deux petits enfants assassinés ? » Les Ismaéliens paraissaient les plus faibles. À peine s’ils avaient huit cents hommes avec fusils, tandis que les Nosseïris en pouvaient aligner deux mille cinq cents.

Le pillage du château n’a pas été sans conséquences pour la science. Masyaf, comme nous avons vu d’Alamout, possédait une bibliothèque. Les officiers de Youssouf Pacha en vendirent çà et là des manuscrits. Notamment un texte précieux de Rachid-eddin Sinan, du Vieux de la Montagne, qui fut ensuite édité et traduit par Stanislas Guyard. Est-ce de la même provenance qu’est venu, par M. Catalfago, à notre Société asiatique le recueil d’anecdotes sur Rachid-eddin Sinan qu’avait constitué en 1324 un certain Abou-Feras de Meïnaka ? Ces textes de Masyaf ont été pour beaucoup dans mon désir de faire le voyage.

J’avais en poche le curieux petit livre d’Abou-Feras. Je demandai aux gens du château que de cette haute terrasse ils me fissent voir la fameuse chapelle élevée sur le lieu d’où le Vieux de la Montagne regardait le roi Saladin assiéger Masyaf. Ils ne surent pas me répondre. « Quoi ! leur dis-je, vous ignorez que ce grand homme, votre Seigneur, a rempli de terreur Saladin et l’a contraint à devenir son ami ? » Ils me désignèrent alors un point parmi les rochers, où je n’ai pu, à mon vif regret,