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Nous la contournons, nous la dépassons, et nous allons à travers le village camper dans une prairie, au bord d’une eau vive, contre la montagne même. Nous sommes au bout du monde, accolés à la roche pure, sous des hauteurs toutes ravinées et dépouillées de leur terre.

Il est une heure. Je voudrais bien prendre un peu de lait, de café, mais nous ne sommes pas au restaurant, et de Masyaf, immobile et muette, qui sans doute nous observe, nulle aide d’abord ne nous vient.

Enfin tout s’arrange. Déjeuner.

Il fait chaud sous la tente, et sous le grand ciel implacable, et ce serait l’heure de la sieste. Mais suis-je venu ici pour dormir ? Une peu de courage ! En route, à pied, pour le fameux château que j’aime.


VISITE DE MASYAF

Que je suis heureux de pénétrer sous cette voûte, où passèrent tant d’hommes qui ne pensaient pas à ciel ouvert ! Je m’introduis dans l’un des domaines les plus secrets de l’esprit oriental.

Nous gravissons, dans l’intérieur du rocher et du château, vers une haute terrasse, d’où la vue s’étend, à l’Est, bien au-delà de Hama et de Homs, jusqu’aux montagnes de Palmyre, m’a-t-on dit. Pour l’heure, je ne désire rien connaître de si lointain ; mon esprit s’absorbe dans cette ruine ; j’y vais, de ci delà, sous le splendide soleil. C’est prodigieusement émouvant, cette lumière intense, répandue avec une brutale prodigalité sur le point mystérieux dont mon imagination ne parvenait pas à dissiper les ombres.

Toute la construction est remplie d’éléments hétérogènes : des croix, des colonnes byzantines, des colonnes gréco-romaines, que les architectes arabes sont allés chercher, je suppose, dans les démolitions des vieilles églises chrétiennes.. En furetant, je découvre une famille logée dans un coin de l’antique repaire. Hommes, femmes, enfants, je les associe, du mieux que je peux, à ma perquisition. D’autres Ismaéliens arrivent du village. Et, chacun se faisant reconnaître, me voici en face du propriétaire de la ruine, que ses clients entourent. Ah ! que je voudrais causer familièrement avec eux, et, si les secrets de jadis leur sont inconnus, tout au moins me plonger dans leur présent et y chercher des signes du passé !