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des étrangers, autorisés à visiter quelque palais d’un goût extravagant et aimable que plus jamais nous ne reverrons. Nous avons à cette heure des droits et des devoirs en Syrie, et, pour les remplir, il faut que nous sachions une infinité de choses qui, hier, ne se proposaient même pas à notre esprit. Ces palais si bellement sculptés, qui les habite ? Qu’y pense-t-on ? Dans quelles conditions peuvent-ils durer ? Et quelles leçons en recevoir ? Ces aristocrates lieront-ils partie avec la civilisation de la France ?

En 1914, à Hama, je ne pouvais pas aborder ces problèmes, et je m’en allais dans le rêve. Au soir d’une belle journée, j’ai besoin de cristalliser autour d’une figure souveraine mes heures de plaisir ou de vague espérance. Occupons-nous des ombres et du peuple invisible qui flottent sur Hama. Quelles images reposent sous les yeux fermés de cette ville au doux visage ? Quels souvenirs, dans son cœur ? Et son parfum, le ruissellement de cet Oronte qui l’épouse, la lumière du sourire dont elle l’accueille, je voudrais les saisir, les fixer, dans quelques syllabes chantantes et dans des images qui me demeurent, après que la musique de cette présence aura cessé. Je mettrai des palais et le plus beau jardin de jeunesse et d’amour sur cette rive aride ; je ferai de cette matinée une douce Isabelle ; de ce midi royal, Oriante ; et de ce coucher de soleil, leur mort, pour que de brefs instants passés par un voyageur auprès de la rivière d’Asie deviennent un songe aux traits de femme…

Le lecteur se souvient peut-être que le Jardin sur l’Qronte s’achève avec mon retour à la gare d’Hama, dans la nuit. Une effroyable chaleur, et des moustiques ne me laissèrent pas dormir ; j’ai pu, à ma fantaisie, rêver d’Oriante et de ses amours, et à quatre heures j’étais debout pour les derniers préparatifs.


DE HAMA À MASYAF

Déjà nos chevaux et nos tentes avaient pris la route de Masyaf, qui allait être notre première étape, pour nous attendre à mi-chemin, à Tell-Afar. Il y a vingt kilomètres de Hama à Tell-Afar, vingt kilomètres de plaine, que l’on peut franchir en voiture, et nous avions décidé d’en profiter. Vers cinq heures, escortés de quatre ou cinq gendarmes, nous parûmes, dans un assez bon véhicule, sur une piste herbeuse.

Air frais du matin, vaste horizon nu, terrain plat, ou du