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disciple d’Abdallah et de Hasan Sabâh, c’est ce que nous verrons sur place, quand nous aurons, nous aussi, gagné El Kaf par Masyaf et Qadmous… Encore un jour de patience, un jour à passer dans Hama, pour rassembler la petite caravane de chevaux, de mulets et de moukres (ainsi nomme-t-on les muletiers), qui nous promèneront à travers cette région quasi inconnue.

Je distribue sur Hama l’enchantement des plaisirs qui m’attendent. Quelle ville attrayante, sous ses voiles arabes, avec la chanson éternelle que, jour et nuit, elle élève d’une voix forte dans une des boucles de l’Oronte ! Je la remercie d’exister et qu’il m’ait été permis de la rencontrer, de l’aimer, de la célébrer. Elle m’a chuchoté son secret, et ne me sait pas mauvais gré de mon indiscrétion. Un voyageur, qui vient de visiter, huit années après moi, la petite ville, y remémore mon passage en termes qui me touchent, et je lui emprunte sa description, afin que nos voix s’entrecroisent et se contrôlent.

« Une petite ville, dit-il, cachée, serrée dans un repli zigzaguant de l’Oronte, enjambant la rivière de tous ses ponts, plongeant ses maisons, ses palais dans cette eau précieuse, dont elle tire l’ornement de ses fontaines et la parure de ses jardins : c’est Hama. Le fleuve lui donne sa marque, son unité, et à vrai dire, son existence. Jour et nuit, les grandes roues hydrauliques, quelques-unes de dimension colossale, à la fois ingénieuses et barbares, compliquées et primitives, font monter l’eau sans arrêt dans ses aqueducs. Le gémissement des lourds madriers qui, dans une pluie tourbillonnante, tournent lentement sur leur axe, forme une rumeur continue et profonde, la chanson de l’Oronte. Une chanson qui se mêle au paysage, le pénètre, l’anime et lui prête un attrait difficilement exprimable… »

Après nous avoir donné cette aquarelle délicate, M. Raymond Recouly passe immédiatement à une explication politique : « Quatre ou cinq familles arabes, et l’une d’elles apparentée au Prophète, possèdent la ville presque entière. Les maisons do leurs innombrables parents et clients se serrent autour de leurs palais. Une organisation purement féodale a fixé et figé, pour ainsi dire, cette société hors du temps. Nous avons grand intérêt à nous appuyer sur leur influence… »

Ainsi, quand nous parlons aujourd’hui de Hama, notre curiosité s’élargit et trouve de virils objets. Nous n’y sommes plus