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valeur sociale et politique de cette nouvelle classe, s’efforce de lui réserver un rôle actif, et parfois prépondérant, dans la vie publique et dans la direction de l’État. Vue profonde d’un homme qui sut toujours apprécier à leur exacte valeur les forces actuelles ou latentes, de son pays, mais que les exigences mesquines du jeu politique et de la manœuvre parlementaire devaient conduire à renverser arbitrairement l’échelle de valeurs qu’il avait lui-même établie.

Associée plus ou moins directement aux affaires publiques, la bourgeoisie du Nord y apporta sans doute un certain égoïsme ; elle sacrifia trop ouvertement les intérêts de l’agriculture à ceux de l’industrie et abusa parfois du crédit que le Gouvernement lui avait si largement ouvert. Il s’en faut pourtant de beaucoup qu’elle méritât les reproches dont les radicaux et les socialistes l’ont accablée. Cette classe fut par excellence une classe productive, organisatrice et novatrice. L’Italie lui doit la rapide expansion de son industrie et de son commerce, la mise en valeur de ses richesses naturelles et jusqu’au progrès de son agriculture. L’histoire fera justice des légendes puériles que répandirent alors les adversaires politiques de M. Giolitti pour discréditer sa méthode et ses nouveaux collaborateurs. Quelques abus furent commis, bien moindres et bien moins dommageables que ceux qu’entraîna plus tard le système des concessions d’État aux coopératives, et dont les socialistes furent tout au moins les complices. Mais surtout il faut reconnaître que sans ces « spéculateurs, » sans ces « affaristi, » comme on les appelait avec mépris, jamais l’Italie n’eût réalisé en trente ans le progrès économique qui lui a assuré dans le monde son rang de grande puissance.

Entre 1880 et 1900, la bourgeoisie commerçante et industrielle s’enrichit, enrichit le pays, mais ne songea guère à s’organiser en tant que classe sociale. Il lui manquait la tradition et plus encore l’esprit de solidarité. Chacun défendait ses intérêts, nul ne se préoccupait de garantir l’intérêt collectif de la classe bourgeoise contre un danger qui devenait chaque jour plus menaçant : l’organisation des classes ouvrières. Lorsque la fréquence des grèves et des troubles commença d’ouvrir les yeux aux plus aveugles, la bourgeoisie accusa le Gouvernement de mal garantir ses droits, de la trahir, de la sacrifier au prolétariat. Elle ne comprit pas tout de suite que ce prolétariat lui