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excessive. Un député qui entre au Gouvernement ne change rien à son existence ; il est très rare qu’il abandonne son appartement privé pour venir habiter l’hôtel du Ministère ; sa famille ne participe en aucune façon à sa dignité nouvelle ; la femme d’un ministre, en Italie, reste une personne privée et, le plus souvent, une personne inconnue. On retrouve là ce sens démocratique de l’égalité, qui se traduit dans les mœurs politiques comme dans la vie sociale.

Autour du Gouvernement gravitait le monde des fonctionnaires, intelligent, laborieux et assez mal payé. L’Italie doit beaucoup à cette classe des « impiegati, » d’où sont sortis quelques-uns de ses meilleurs hommes d’État. À la préparation souvent insuffisante des écoles, suppléait une éducation pratique, au cours de laquelle le fonctionnaire apprenait l’administration, le droit, les finances et le maniement des affaires. En Italie, comme en France, les fonctions publiques ont toujours exercé un attrait singulier sur les classes moyennes, et probablement pour les mêmes raisons : prestige, absence de risque, garantie de l’avenir. MM. Pantaleoni et Scialoja ont observé tous deux qu’après 1870, on vit en même temps diminuer le nombre des prêtres et des religieux, et croître celui des candidats au fonctionnarisme : les petites gens destinaient désormais à l’État les fils qu’ils donnaient autrefois à l’Église.

Depuis lors, l’armée des fonctionnaires ne cessa d’augmenter. Le recensement du 10 juin 1921 indique le chiffre de 1 417 345, soit un peu plus d’un fonctionnaire pour vingt-huit habitants-Cette proportion doit être aujourd’hui sensiblement dépassée[1]. Plusieurs ministères nouveaux ont été créés, la guerre a fait surgir toute une série d’offices et de services spéciaux, qui ne sont pas encore entièrement liquidés. Un grand nombre de femmes, admises dans les cadres de l’administration durant les hostilités, y sont restées, une fois la paix rétablie. À cet énorme développement du fonctionnarisme ne correspond pas toujours une extension ou une amélioration des services publics ; en Italie, comme autrefois chez nous, chaque ministre, chaque député influent « case » sa nombreuse clientèle dans l’administration de l’État et n’attend pas toujours, pour faire entrer ses

  1. Les chiffres cités au cours de cette étude sont empruntes, pour la plupart, au dernier Annuario Statisiico Italiano, qui porte la date de 1917-1918 et reproduit souvent les données statistiques relatives à l’année 1911.