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timore, » voulant marquer ainsi que son petit n’a pas peur, mais qu’il éprouve devant la dame un crainte respectueuse. Quel voyageur n’a admiré la courtoisie simple et digne d’un gondolier de Venise, ou la fantaisie, la verve et la finesse d’observation d’un cocher napolitain ? Je n’ai jamais oublié le petit discours que m’adressa, en m’offrant un citron qu’il venait de cueillir, le vieux gardien de la Latomie des Fleurs, à Syracuse : c’était la louange du fruit, de sa beauté, de ses vertus ; certes, l’ail aussi était une plante salutaire, mais comme son odeur brutale contrastait avec le parfum exquis du fruit d’or ! bref, une ode à la manière de Pindare, que le bonhomme avait improvisée pour me rendre son présent plus agréable, ou simplement pour s’amuser.

Cette richesse et cette variété de dons naturels font qu’en Italie un homme ne se sent pas inférieur à un autre, mais tout au plus différent de lui. Les mœurs sont empreintes de cette égalité, qui n’est pas affectée, mais instinctivement ressentie. L’exemple est donné de haut : en dépit d’une étiquette minutieuse, puisqu’elle fut importée d’Espagne, quelle cour a moins d’apparat que la cour italienne, quelle famille royale mène une vie plus simple, plus bourgeoise que la famille royale d’Italie ? La vieille aristocratie est demeurée fidèle à cette tradition de discrète simplicité. Il ne faut point la juger à Rome, ni dans quelques autres villes où elle se trouve mêlée à la société cosmopolite, mais à la campagne, sur ses terres, où elle est vraiment chez elle. Le chef de la famille, le « padrone, » comme tous l’appellent, adresse la parole à son métayer du même ton courtois qu’il ferait à un homme de son monde, et le métayer n’en éprouve ni étonnement ni gêne : d’une part et de l’autre, l’aisance de manières est égale. Les domestiques, presque toujours nés sur le domaine, sont traités sans hauteur, avec affabilité et confiance. Dans un château de Romagne, un poète en renom, qui se trouvait parmi les invités, fut prié de dire des vers ; plutôt que d’exhiber les siens, il commença à réciter un chant de la Divine Comédie. Je vis alors la maîtresse de maison sortir du salon et y ramener sa femme de chambre, qu’elle voulait associer au plaisir que nous goûtions. Je fus probablement seul à admirer ce geste, que les hôtes italiens semblaient trouver très naturel.

Une aristocratie souvent riche, parfois cultivée, généralement