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La description de la Descente de Croix a l’air d’être faite d’après le tableau de Rubens, et il faut un effort, en la lisant, pour concevoir que le mystère est antérieur d’un siècle et demi :


Nota que Joseph doit avoir à sa ceinture une pince et Nicodème un marteau. Nota de préparer ici quatre échelles toutes neuves pour servir à descendre Jésus, car le charpentier et autres y peuvent bien aider sans parler. Joseph arrache le clou de la main destre. Ils montent au lé [côté] senestre. Il [Joseph] fait semblant de le tirer aux pinces. Joseph tire le clou, et puis il le montre. Lors ils descendent (le corps) et peuvent bien prendre aide. Lors Marie s’assied à terre, et on met Jésus sur ses genoux.


Étonnantes de puissance évocatrice, ces rubriques semblent douées d’une sorte de plasticité. Or, si l’on songe que depuis le XIVe siècle[1], on les réalisait sur la scène, on comprend que la tradition des gestes qu’elles établissent ait revêtu aux yeux des artistes comme de la foule une autorité que confirmait le patronage de l’Église. J’en dirai autant des épisodes familiers ou comiques, qui servent à détendre les nerfs et à distraire : Pêche miraculeuse, avec manœuvres de bateaux sur la mer du hourd ; chasse au faucon du Lazare, grossières plaisanteries des tyrans ou bourreaux.

Tout cela forme un ensemble truculent, coloré et confus, qui eût fait les délices des Romantiques, si leur information sur notre passé littéraire avait été à la hauteur de la sympathie qu’il leur inspirait. Ajoutez-y la bigarrure même des costumes des spectateurs, les velours rouges des pourpoints, les brocarts des robes féminines, mais surtout une atmosphère morale de curiosité tendue et neuve.

Les spectateurs ont afflué d’Arras, de Douai, de Cambrai, comme de Valenciennes, de Lille, de Binche, Chimay et Nivelles, et les Chambres de Rhétorique de ces villes avaient été invitées à se disputer en cette occasion à Mons les joyaux et prix d’argent faits pour le Jeu de rhétorique. Les Chambres d’Amiens et de Tournai, qui étaient en France, avaient été conviées aussi, mais non celles de Gand, de Bruges, ni d’Ypres. Qu’on veuille bien ne pas voir là une querelle de langues, car Namur et Liège ne l’avaient pas été davantage : il y a simplement ici

  1. Cf. La Passion du Palatinus, Mystère du XIVe siècle, éd. par Grâce Frank. Paris, Champion, 1922.