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dont nous avons parlé et qu’on appelle le silete. On se sert aussi du terme pause : Puis, quand il a fait son oraison, on chante en Paradis un silete, ou on joue des ménestrels, ou de quelque instrument ou pause d’orgue.

La musique en ce drame qui, comme la tragédie grecque, est presque un mélodrame, au sens étymologique du mot, n’a pas seulement un rôle de remplissage ; elle soutient le rythme des rondels et des lais, elle marque l’exultation des puissances célestes : Lors soit faite en Paradis grande joie et mélodie… et y doit l’on chanter.

Or, au pays d’Okeghem, de Josquin des Prés et de Roland de Lattre, on devine la beauté que ces chœurs pouvaient revêtir, soit qu’ils retentissent au Paradis, soit qu’ils se fissent entendre du fond des Limbes : Ci doivent être avertis ceux qui chantent les motets en Paradis de descendre de Paradis et eux en aller aux Limbes pour chanter un motet quand on leur dira.

Parfois l’emploi de la polyphonie vocale, que perfectionna à un si haut degré la science musicale heunuyère de ce temps, sert à rendre sensible au vulgaire, d’une façon bien ingénieuse, le dogme de la Trinité : Ici parle Dieu à trois voix[1], est-il dit quelque part au moment de la Transfiguration.

La monodie populaire et joyeuse n’est cependant pas exclue, mais on la met dans la bouche de la Madeleine, lors de sa mondanité : Ici chantent Madeleine et ses demoiselles quelque chanson à leur aise, en elles démenant honnêtement et joyeusement, ce qui veut dire qu’en même temps elles dansent. Ainsi fait la fille d’Hérodias, que notre texte appelle Florence et non Salomé : Lors elle va danser une morisque au son du tambourin, et puis le tambourin se tait un espace, et la fille danse toujours.

Ce rôle est tenu par une jeune fille, qui porte le prénom de Waudru, mais ceci est plutôt exceptionnel. Le théâtre religieux est encore trop près de ses origines liturgiques pour accorder à la femme une place décisive. Cette Waudru, qui paraît avoir été une excellente actrice, est chargée aussi du rôle de Sainte Marie à quatorze ans et de celui de Victoria, quatrième femme de Sion, au moment de la Crucifixion. Mais Ève elle-même est jouée par Colin Rifflart, ce qui ne laisse pas d’être un peu difficile à imaginer ! De même, le rôle si profane de la

  1. Ténor, baryton et basse, précise un autre mystère.