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Le Paradis, nécessairement, domine la scène, non pas tant pour la révérence due aux habitants du céleste séjour que pour les besoins de l’Ascension, dont nous verrons tout à l’heure la réalisation. Notre Livre de scène dit :


Nota de, en ce pas, avertir Dieu, qui est dessous la salle de Paradis

Quand Caïn a dit les deux premières lignes, lors Dieu et ses anges s’en revont en Paradis, et plus ne descend Dieu.


Sur cette salle de Paradis, où l’on monte et d’où l’on descend, le Compte des Dépenses va nous donner quelques détails curieux : Dieu le père, tel qu’il figure dans le volet supérieur du célèbre retable de l’Agneau mystique des van Eyck, aujourd’hui reconstitué à l’église Saint-Bavon à Gand, est assis sur une chaire, en robe de pourpre à bordure de martre, les pieds appuyés sur un passet ou petit tabouret. Il est ganté, car on a payé dix sous pour trois paires de gants ; l’une pour l’Esprit, l’autre pour Dieu, et l’autre pour le faux corps de Satan, d’où il faut conclure que le Saint-Esprit, étant ganté, était représenté par un homme et non par un simple pigeon.

On sait quel magnifique emploi Dante a fait de la doctrine néo-platonicienne des sphères émanées de Dieu. On sait aussi comment, chez lui, les neuf chœurs d’anges virent en neuf cercles de feu au mouvement vertigineux autour du Tout-Puissant pour exalter sa louange. Le metteur en scène de Mons voulut, sans avoir lu sans doute le sublime poème du Florentin, matérialiser cette conception, à l’aide d’anges en bois, car les Dépenses comportent 3 sous d’un tilleul pour tailler les anges et S sous pour deux roues à tourner les anges.

De là haut se manœuvrait encore autre pièce de toile ayant déduit [représenté] le soleil et la lune, qu’on revendit 22 sous 2 deniers, et une autre pièce de toile mi-partie noire, mi-partie blanche, qui, montrée au moment voulu, révélait à un public complaisant la séparation des ténèbres d’avec le jour. Grâce à une prodigalité de feuilles d’argent, de bleu d’azur, de vermillon, d’étoiles dorées, de ciels peinturés et de nuées, je ne doute pas que le Paradis de Mons n’eût justifié, lui aussi, la boutade de ce décorateur dont parle Guillaume Bouchet dans sa XXVIIIe Serée qui, se vantant de son ouvrage, disait à ses visiteurs : « Voilà bien le plus beau Paradis que vous vîtes jamais… ni que vous verrez. »