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gueule énorme, dominée par Cerbère, et d’où s’échappent des diablotins hideux armés de massues.

On se sera étonné peut-être de m’entendre prononcer le mot étage, car on la croyait bien morte cette vieille hypothèse de Berriat-Saint Prix d’une scène à quatre ou cinq étages superposés, ou cette autre hypothèse, un peu moins ancienne, de Jubinal d’une scène à trois étages : Paradis au-dessus, Enfer au-dessous et Terre entre les deux. Nos meilleurs manuels, l’Histoire de la Littérature française de Petit de Julleville, par exemple, y ont substitué, dans notre esprit, l’image imposée par la miniature du manuscrit de la Passion jouée à Valenciennes en 1547, et d’après laquelle est modelée la maquette que l’on peut voir dans l’escalier de la Bibliothèque de l’Opéra.

L’auteur de cette miniature, Hubert Cailleau, a placé les lieux ou mansions, par lesquels doit passer l’action, les uns à côté des autres, entre le Paradis, qui est à l’extrémité droite, et l’Enfer, qui est à l’extrémité gauche, ou, si l’on préfère, respectivement à gauche et à droite du spectateur. Mais ici une double remarque s’impose : la miniature de Cailleau est très tardive, plein milieu du XVIe siècle, et ensuite elle est stylisée, donc moins réaliste que celle de Fouquet.

La vérité, comme toujours, est plus complexe : autant de circonstances, autant de formes diverses. Seul subsiste le principe médiéval de la décoration simultanée, qui, étant donné une action qui se déroule dans plusieurs lieux, les présente non successivement, mais en même temps aux yeux des spectateurs, dont les regards y suivent les acteurs.

Si l’on dispose d’une place publique, on alignera les mansions sur un échafaud de 60 à 100 mètres ; si l’on est réduit aux dimensions d’une salle, d’une cour ou d’un enclos, il faut bien qu’on les superpose en partie, mais sans dépasser probablement deux ou trois étages, et, de plus, pour gagner du terrain, on brise au besoin la ligne des mansions en lui donnant une forme polygonale, mais toujours en aboutissant, dans les mystères du moins, à droite au Paradis, à gauche à l’Enfer.

Sur ces deux mansions semble se concentrer l’effort des décorateurs qui, comme dans les verrières dont parle Villon, en font un


Paradis peint où sont harpes et luths
Et un Enfer où damnés sont boullus.