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Que Livre de scène et Compte des Dépenses[1] se rapportent bien à la même représentation, c’est ce qu’attestent les noms d’acteurs mentionnés dans l’un et dans l’autre, ainsi que la description de l’Abrégé contenue dans le mémoire.

Grâce à ce Compte, aussi détaillé qu’il est possible, et plus minutieux qu’un budget parlementaire, nous pouvons savoir d’où vint le manuscrit original, quels furent les machinistes et les peintres chargés d’accomplir les prometteuses rubriques des Abrégés aux yeux d’un public bien plus difficile qu’on ne s’imagine.

Les Montois avaient résolu de jouer, en juillet 1501, un beau Mystère de la Passion, qui dépasserait en ampleur et en magnificence la représentation qu’ils en avaient donnée en juillet 1455, et qui ne dura que quatre jours, ou celle d’octobre 1484, qui n’exigea que vingt-quatre acteurs. Mais où prendre la pièce ? Ni dans cette Flandre dont le Hainaut n’entend pas la langue, ni au pays de Liège, dont le wallon est trop différent, mais en France. Comme aujourd’hui, à Mons un public attentif était aux écoutes de la littérature qui se créait chez nous et des pièces qui y étaient en vogue. Or, depuis le XVe siècle, d’une part en vertu du même esprit synthétique et encyclopédique qui inspirait les Sommes, d’autre part en vertu de cette tendance didactique qui veut montrer dans la mort du Fils de Dieu la conséquence du péché originel qu’il rachète, le Mystère de la Passion avait pris, sous la plume d’Eustache Marcadé et d’Arnoul Gréban, un caractère cyclique, qui le faisait remonter non pas seulement au Déluge, mais à la Création. Après eux, leur successeur Jean Michel, obéissant à une nouvelle tendance, en avait retranché le début, et en avait développé à plaisir les scènes réalistes, qui avaient valu à son drame d’être joué « moult triomphalement à Angers en 1486. »

Or les auteurs, n’ayant aucune idée de la propriété littéraire, taillaient à leur gré dans le patron de leurs devanciers, de telle sorte qu’à Amiens l’on avait, en 1500, monté une Passion, qui était une contamination de celle de Gréban et de celle de Jean Michel. Le succès qu’elle avait remporté sur les

  1. Les documents qui ressemblent le plus à ce dernier sont postérieurs, et se rapportent au Mystère des Trois Doms, joué à Romans en 1509, au Mystère des Actes des Apôtres, joué à Bourges en 1536, et au Mystère de la Passion, joué à Valenciennes en 1547.