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l’étoffe tendue verticalement. Deux jeux de pinces, adaptées à des chariots qui suivent le contour du dessin, se ferment périodiquement, après avoir saisi les aiguilles pour les manœuvrer, faisant ainsi l’office des deux mains d’une brodeuse. Seulement ces « mains »-ci, conduites par un homme et deux femmes, font 500 000 points par jour, autant que 50 brodeuses.

Et tandis que sous l’ancien régime, où ces métiers « de luxe » n’étaient souvent pour les ouvriers qui les exerçaient que des métiers de misère, le gouvernement de Louis XV s’imaginait conserver à ces derniers un gagne-pain en interdisant le travail mécanique, et en obligeant le public à ne porter que des produits « faits à la main, » c’est au contraire l’énormité de la production machinale qui, au XIXe siècle, a su enrichir à la fois les ouvriers, l’Etat et le public.


III

Une révolution identique s’est accomplie pour les bas, depuis les premières tricoteuses presque automatiques de 1850, jusqu’à l’invention du métier circulaire en 1867, faisant des centaines de milliers de mailles à la minute. En 1890, le summum du progrès paraissait atteint ; on ne croyait pas qu’il fût jamais possible de fabriquer mécaniquement la bonneterie façonnée, diminuer le tissu et passer la maille d’une aiguille à l’autre sans l’aide de la main. Dix ans plus tard, ce résultat était atteint pour les bas à côtes, par le métier « à huit têtes , » d’où sortaient 30 douzaines de paires par jour ; et peu après, une nouvelle piéteuse, faisant le talon américain, augmentait la production de 50 pour 100.

Dans cette industrie, qui par antinomie continue à s’appeler « bonneterie, » bien qu’elle habille les pieds plutôt que la tête, notre mot de « bas » est moderne ; il date du XVIe siècle. Le Moyen âge ne connaissait que les « chausses, » étuis d’étoffe épousant la forme du pied, et, selon le tissu que l’on y employait, coûtant depuis 3 fr. 50 pour des « jambières » en toile d’un marchand (1347), jusqu’à 160 francs pour les « chausses de drap à l’aiguille » d’un riche seigneur (1397). Le rang social du porteur ne nous renseigne guère du reste sur la qualité, puisque les chausses d’un trésorier de prince valent 14 francs