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II

C’est ce qui s’est produit dans les accessoires de la toilette dont nous avons naguère esquissé ici le budget [1]. Tel de ces « accessoires » avait été jadis le « principal, » au temps où l’on voyait dans les antichambres une arquebuse et un « chapeau de fer, » à la place où nous voyons un chapeau-melon et un parapluie.

Il valait mieux alors avoir une épée et une cotte de maille que des bas ou une chemise ; même une chemise de jour, car, pour la chemise de nuit, personne n’en portait. Le sire de Joinville nous conte, au XIIIe siècle, l’histoire d’un commencement d’incendie, survenu la nuit dans la chambre de la Reine, sur le bateau qui la ramenait de la Croisade ; une bougie, en se consumant, avait enflammé la chemise imprudemment laissée tout auprès par une des femmes. L’épouse de saint Louis s’éveilla, et « voyant la chambre embrasée, saillit sus, toute nue, pour éteindre elle-même le feu. » Jusqu’au milieu du XVIe siècle, l’usage de coucher nu persista dans toutes les classes.

L’inventaire du linge de Françoise de Bretagne, comtesse de Limoges (1481), accuse 112 draps de lit, « dont y en a de fort beaux et de belle toile de Hollande et un de soie pour madame, quand elle était en couches, » mais il ne fait mention d’aucune chemise. Seulement, parmi les 40 robes de cette princesse, il s’en trouve « deux de gris pour nuit, fourrées, l’une de chat, l’autre de mauvaises martres, » et « une robe en drap d’écarlate pour coucher au lit. »

Quant aux « chemises » de jour, c’étaient, au Moyen âge, de simples camisoles fort courtes. La faible quantité d’étoffe qu’on y emploie le prouve et, à défaut de métrage, les prix de la chemise confectionnée comparés avec ceux de la toile au mètre. Elles se complétaient par les « doublets, » amples jupons qui prenaient à la taille.

Le coton étant une matière précieuse qui nous venait d’Orient, par Smyrne, en quantité négligeable, tout le linge était fait de chanvre ou de lin jusqu’à l’aurore du XIXe siècle. Il entrait en France 5 millions de kilos de coton en 1789 et 329 millions de

  1. Voir la Revue du 15 mai 1919.