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Aujourd’hui les Soviets russes, par la plume des « commissaires du peuple » Lénine et Trotsky, se flattent, disent-ils, « lorsqu’ils auront atteint un niveau plus élevé du développement socialiste, de pouvoir diriger toutes les entreprises d’un centre unique, en distribuant rationnellement entre elles les forces et ressources nécessaires ’selon un plan national préalablement établi ; » ce texte, sans qu’ils s’en doutent peut-être, émet exactement la même pensée naïve de régler la production qu’avaient les Coutumiers du Moyen-âge, les édits de nos rois, les statuts de métier et les règlements communaux de jadis, qui s’étendaient copieusement sur les obligations et la discipline imposées à l’industrie, au commerce et à l’agriculture de leur temps. Heureusement pour nos pères, ceux-ci opéraient plus doucement, et le droit de propriété se fortifiait malgré tout de siècle en siècle avec la civilisation.

S’il est vrai que l’on ne saura jamais laquelle, de la production ou de la consommation provoque et conditionne l’autre, il n’est pas moins vrai qu’énoncer, il y a cent ans, qu’il fût possible de produire cinq ou dix fois plus et de trouver des consommateurs pour des productions cinq ou dix fois accrues, eût semblé pure folie. C’est pourtant ce qu’a su faire la science, sui un terrain où les révolutions politiques et sociales n’ont ni influence ni accès, mais où l’intérêt personnel, ce levier nécessaire de l’effort humain, a secondé et mis en œuvre les découvertes scientifiques sous le régime fécond de la liberté : chaque travailleur, produisant beaucoup plus et offrant par suite à tous les autres ses produits meilleur marché, tout en gagnant lui-même davantage.

C’est ainsi que, pour notre contemporain, bien des « superflus » d’autrefois sont devenus du « nécessaire, » à commencer par le « loisir, » ― ce repos volontaire, — tout l’opposé du repos forcé qui s’appelle « chômage. » Au XVIIe siècle, le Savetier, dans la fable de la Fontaine, s’en plaignait en des vers que chacun sait par cœur :


le mal est que toujours,
Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes,
Le mal est que dans l’an s’entremêlent des jours
Qu’il faut chômer. On nous ruine en fêtes,
L’une fait tort à l’autre, et monsieur le Curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prune...