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Mais je retiens son cas, comme un exemple retentissant de cette puissance de la propagande allemande en Suède, que trop de Français ignorent ou tiennent pour négligeable.

En Norvège, c’est tout différent. Les deux grandes nations scandinaves ne sont pas des sœurs Ménechmes, quoique jumelles, et leur frère de race, le Danemark, se défend aussi de leur ressembler. La Norvège, démocratie de paysans, de commerçants et de marins, férue de liberté, est aussi « travaillée » par l’Allemagne, mais elle résiste, malgré les Sigurd, Ibsen et Cie. C’est vers l’Occident anglo-américain qu’elle tourne les proues de ses navires, comme jadis les drakkars des Vikings, et elle se souvient de tous les marins, ses fils, que les Allemands ont torpillés sans miséricorde.

La Suède est un pays aristocratique, traditionaliste, savant, épris de morale et de théologie. Elle regarde avec inquiétude du côté de l’Est, où le vieil ennemi, le Russe, lui réserve peut-être des surprises ; et elle regarde aussi vers le Sud, vers l’Allemagne, sa voisine, qui a lié avec elle d’étroites relations de parenté.

Isolée à l’extrémité de l’Europe, toutes les routes qui la mènent au continent passent par l’Allemagne. La langue qu’elle parle est germanique. Ses professeurs fréquentent les Universités allemandes et ses militaires ont reçu les enseignements de Potsdam. Luthérienne, elle respecte la patrie de Luther. Que de raisons, pour elle, d’avoir cru à la puissance, à la vertu, à la sagesse de l’Allemagne ! Que d’excuses de croire encore à la bonne foi du Germain !

Et puis, le Suédois est plus « sentimental » que « critique ». Il est foncièrement honnête et probe, très accessible à la pitié, quand on lui parle de la « honte noire » et de la souffrance des enfants. Si on lui démontrait que la « honte noire » n’existe pas, et si on lui apprenait ce que souffrent les milliers d’enfants anémiés, rachitiques et tuberculeux dans les baraques en carton bitumé de nos départements dévastés, si on lui expliquait, — pas une fois, par hasard, mais, presque quotidiennement, avec films, photographies statistiques, beaucoup de statistiques à l’appui, — quelles sont les plaies de la France, ses yeux ne refuseraient pas de s’ouvrir. Mais c’est au cœur qu’il faudrait parler, et surtout au cœur des femmes.

Ce devrait être une suggestion répétée, raisonnée, faite