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forces créatrices de notre art et de notre littérature, et qui tient tant de place dans notre vie, les Scandinaves, quand ils le rencontrent le méconnaissent. La femme, pour eux, c’est la camarade, avant le mariage, et après, c’est, — je n’ai pas inventé le mot, — « un moule à enfants. » L’homme, qui, même irréligieux, reste imprégné de puritanisme, ne cède à la puissance de ses sens qu’avec une sorte de honte. Il croit se ravaler jusqu’à la bête, et il s’y ravale, puisqu’il n’apporte pas une idée de grâce et de beauté dans ce qui est, pour lui, une basse fonction.

Voilà ce que des femmes m’ont dit, en expliquant, par ce caractère des hommes, leur altitude à elles, et leur volonté de vie indépendante. Je ne veux pas généraliser. Si les autres ne nous comprennent pas, je risque aussi de ne pas les comprendre. Chaque peuple fait son bonheur à sa façon. Nous avons la nôtre, qui est méconnue et dénaturée. J’ai bien le droit de la défendre.

Une très intelligente Finlandaise que j’ai rencontrée dans un déjeuner de dames, en Norvège, m’a tout de suite attaquée à ce propos, et m’a dit qu’elle plaignait beaucoup les femmes qui épousaient des « hommes du Sud, parce qu’ils sont charmants, faux et infidèles. » Je lui ai répondu que je souhaitais aux femmes du Nord « le même bonheur que savent nous donner ces hommes du Sud, quand ils nous aiment. »

On revient souvent, en Norvège, sur cette idée de « fausseté » opposée à la « franchise » septentrionale ; et j’ai senti qu’il était presque impossible de séparer, dans l’esprit de certaines personnes, la « fausseté » de la « politesse. » Elles croient fermement que c’est la marque d’une supériorité morale que de dire tout ce que l’on pense, même ce qui est désagréable et désobligeant. Je persiste à croire que la politesse est, au contraire, une forme de la charité, une répression de petites impulsions égoïstes, une entente réciproque pour éviter les chocs pénibles et voiler les laideurs de la vie.

En expliquant ainsi mes idées, je revendiquais le bénéfice de cette franchise dont on usait vis à vis de moi. J’ai la certitude que mes amies scandinaves ne m’en voudront pas de suivre ici l’exemple qu’elles m’ont donné. Je leur demande seulement de faire les mêmes réserves que moi, lorsqu’elles jugeront la France qu’elles connaissent peu ou mal. Qu’elles écoutent seulement