Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la carence de l’homme qui a créé le féminisme, si artificiel en France ; et la guerre, en détruisant un peuple de jeunes hommes, a fait un peuple de victimes féminines : les veuves, les jeunes filles condamnées au célibat et contraintes à gagner leur vie.

Sur les solitaires les Norvégiennes ne s’apitoient pas comme nous. Elles n’imaginent pas que la solitude soit une douleur, et que la femme puisse être, au fond de l’âme, sous la pudeur et la dignité du silence, torturée par le regret de l’amour et de la maternité impossible. Liberté ! cela console de tout : un maximum d’indépendance, un minimum de sacrifices, la plus grande facilité à choisir son métier, sa carrière, à secouer l’autorité des parents, à se fiancer et à se défiancer, à se marier et à divorcer, voilà le bonheur. Mais cette liberté, — où il y a bien un peu d’égoïsme, — s’arrête devant l’amour qui est censé ne pas exister hors du mariage. « Nous n’aimons pas le ménage à trois », me dit-on, avec fierté, et l’on ne parait pas comprendre que si la femme latine répugne aux divorces rapides, c’est qu’il y a dans son cœur une lutte terrible entre l’amour et l’amour maternel, et qu’elle n’abandonne pas ses enfants aussi facilement que Rosa. Le drame secret qui est la rançon, — je ne dis pas l’excuse, — de bien des situations fausses, doit se produire parfois dans les âmes du Nord, mais personne n’en veut convenir. Le diable n’y perd rien, dit-on ; mais il y a une convention que l’on respecte. Des maris successifs, cela ne fait pas scandale, mais une liaison amoureuse ne serait pas tolérée. Et c’est la même chose en Suède où cependant, — par un mystère que je n’essaie pas d’expliquer, — le nombre des enfants illégitimes est considérable !

J’ai l’impression que, dans tous ces entretiens, où chacune parlait avec sincérité, nous n’arrivions pas à nous comprendre, parce que les mêmes mots n’avaient pas le même sens pour les unes et pour les autres.

C’est que les relations sociales, et sentimentales des deux sexes, dans les pays du Nord, ont un caractère difficile à comprendre pour les gens du Sud. L’amour, la forme latine de l’amour, raffiné, devenu un art où l’intelligence et la tendresse s’accordent pour broder le simple canevas de la nature, l’amour qui ennoblit la volupté comme le sculpteur divinise le marbre dont il fait surgir une déesse, — cet amour-là, qui est une des