Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Figures altières de princes et de reines, grandes dames poudrées en paniers et en falbalas, jeune femme à la robe rose, qui tient un masque de velours noir, et dont les yeux et les joues rappellent ce noir velouté et ce rose floral ; Suédois et Suédoises mêlés aux Français, et, ce qui est peut-être l’œuvre dominante du peintre, le hautain, sec et spirituel Choiseul, duc de Praslin, — n’est-ce pas la cour de Gustave III et la cour de Louis XV, n’est-ce pas, venue du fond du passé, l’affirmation d’une ancienne sympathie, qui rapprocha, qui pourrait rapprocher encore, la France et la Suède ?

Cette Suède du XVIIIe siècle, l’architecture et la peinture me l’ont racontée avec mélancolie ; et c’est elle qui m’apparait ce soir, dans les froides splendeurs vertes et rouges, dans les brumes violettes du couchant. Et je reste à la fenêtre, fascinée, jusqu’à ce que le soleil ait achevé son agonie lente, et que, la nuit venue, le Château royal semble grandir, sombre, piqué de lumières, et posé obliquement sur l’eau frissonnante et noire, comme il est dans le célèbre tableau du prince Eugène.


Il y a un autre Stockholm, très moderne, qui dévore peu à peu l’ancien, comme il arrive dans toutes les vieilles villes. Ce Stockholm-là, fier de ses tramways, de ses postes téléphoniques échelonnés tous les cinquante mètres à la disposition du public, de ses larges rues propres et bien aérées, de ses banques qui sont des palais, de ses hôtels confortables, de ses écoles et de ses hôpitaux modèles, je n’aurai pu que l’entrevoir.

Du moins aurai-je visité, par une faveur spéciale, l’édifice inachevé qui représente la Suède moderne, opposée au vieux Château des rois. C’est l’Hôtel de ville, œuvre très remarquable d’un architecte jeune et hardi, M. Ragnar. Östberg.

Il a été construit dans un lieu illustré par la légende. Lorsque les Vikings assiégeaient Sigtuna, la ville ancêtre de Stockholm, les notables de la ville, voyant leur trésor épuisé, enfermèrent leurs dernières pièces d’or et leurs derniers bijoux dans un tronc de chêne qu’ils abandonnèrent au courant du Mœlar. Où ce tronc s’arrêterait, on bâtirait la nouvelle ville. Et ce fut l’origine de Stockholm.

L’Hôtel de ville est une construction énorme, en briques d’un beau rouge foncé, avec deux tours inégales-dont la plus