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étincellent d’un feu sanglant. A droite, .il y a un vide, un petit pont, la haute flèche de Riddarholm, légère, aiguë, dont l’extrême pointe s’émousse et se vaporise ; puis un autre ilot où s’élève, noir, à contre-jour, le Parlement couronné de statues ; puis deux ponts encore, vus en perspective, reliant l’îlot du Rikgsdal au nouvel Hôtel de ville, qui élève sa tour de brique et son clocheton ajouré, fleuri des trois couronnes suédoises. De ce côté-là, les édifices se détachent en masses sombres sur un ciel crûment rouge et vert, rouge écarlate et vert acide, un ciel qui resplendit sans flamboyer, et dont les nuances changent si lentement que ce couchant semble durer des heures, comme un état définitif du ciel, une formidable fresque aérienne.

Est-ce Venise ou Stockholm ? Venise du Nord, illusoire Venise, calmée, refroidie, sous une lumière qui ne vibre pas. Et là-bas, où s’efface la rive presque évanouie, avec ses collines et ses dômes, au delà du bras de mer tout moiré de rouge et de vert vif, n’est-ce pas une image, un peu diminuée, de Stamboul ?

Non, Stockholm est bien lui-même, et si, partout, dans les monuments, dans les palais, dans les musées, et jusque dans cette aménité cérémonieuse des Suédois qui se vantent d’être « aussi polis que les Français, » je retrouve des influences méridionales, Stockholm a su garder son âme sous les parures de pierre qu’il doit aux influences successives de la France et de l’Italie.

Je resterai ici trop peu de temps pour connaître cette ville qui a surpassé mon attente, ville-archipel, mariage de la terre, du lac et de la mer, îlots émiettés, architectures fantasques surgissant des eaux et des jardins. Je n’aurai visité ni le Château, ni l’église de Riddarholm, le Panthéon suédois, — qu’on répare, — ni les domaines royaux des environs, Drottingholm, Ulriksdal, où l’on trouve les plus belles collections de Gobelins, où rôdent les fantômes tragiques, capricieux, tristes ou charmants, de Gustave III, de Sophie-Madeleine, d’Hedvige-Eléonore, de Louise Ulrique, et de Fersen.

Mais j’ai vu la « terrasse Fersen, » seul vestige de l’hôtel qu’habita le beau Suédois aimé d’une reine, dont j’ai relu ici même, dans le livre émouvant de M. de Heidenstam, le roman si pur et si douloureux. Et, dans les salles de l’Académie de peinture, guidée par M. le docteur Gauffin qui connaît parfaitement l’art et le génie du XVIIIe siècle, j’ai admiré, parmi cent chefs-d’œuvre, la magnifique collection des Roslin.