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pour un peuple qui a pour loi de constamment se donner. »

Nos voyageurs arrivent à Constantinople avant que le traité de paix avec la Turquie ne soit signé ; et déjà, au collège Saint-Joseph de Cadi-Keui, s’entonne devant eux la Marseillaise. Le collégien qui les reçoit au collège Saint-Michel leur donne une dernière joie, en leur faisant entendre une protestation décisive contre les calomnies dont les ennemis de la France avaient tenté de la ternir. « En l’absence de nos maîtres, déclare-t-il, on nous montrait la France énervée par le bien-être et vouée à la défaite et à la disparition. On l’accusait d’erreurs monstrueuses, et l’on faisait d’elle la propagatrice de doctrines révolutionnaires et athées. Silencieux, notre cœur protestait. Impie, la France, qui nous avait pourvus de maîtres religieux ! Dégénérée, celle qui, au sein d’un pays étranger, prodiguait dans les hôpitaux, les dispensaires, les orphelinats gratuits, les œuvres multiples de sa générosité [1] ! »

La France que connaissent et qu’aiment, dans le Levant, les élèves des Frères, n’est point une France de convention, c’est la France authentique et séculaire, la France de tous les temps, qui parmi les vicissitudes de son histoire garde une continuité profonde, la France toujours identique à elle-même, en vertu de cette continuité. J’en atteste les paroles qu’adressait à M. Lefèvre-Pontalis, notre ministre au Caire, au lendemain de l’armistice, le président de l’Académie du collège Sainte-Catherine. Ce pupille des Frères disait en propres termes :


Vous retrouvez ici la France, la plus grande France, pour laquelle cinq de nos maîtres et treize de nos camarades ont donné leur sang. Vous représentez pour nous cette France dont nous vous parlons avec amour, cette France au sol fertile, à l’aspect harmonieux, aux idées grandes et nobles, aux soldats héroïques ; la France, soldat de Dieu, la France missionnaire du droit et de la liberté ; toute la France, celle de Clovis et des Croisades aussi bien que celle de la Révolution et de la Grande Guerre, car nous savons que le soldat de l’an II, quand il croit apporter au monde la liberté et l’égalité, se dévoue du même élan et dans le même esprit que le croisé de Jérusalem.

Dans cette foule de près d’un millier d’enfants, vous ne trouverez que des âmes d’adolescents pétris de cette culture large, libérale, respectueuse de toutes les croyances, mettant à la base de tout le respect

  1. Mgr Grente, Une mission dans le Levant, p. 33, 143, 171, 194, 277 et 281 (Paris, Beauchesne, 1923.