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avaient été obligés d’apprendre notre langue pour se faire comprendre de leurs contre-maîtres et de leurs ouvriers. Les Frères, par le seul fait de leur présence, avaient infligé au pangermanisme cette première défaite. « Je ne sais pas, proclamait M. Huvelin, si l’histoire nous fournit un autre exemple de la conquête pacifique d’un pays par une langue [1]. »

Ambassadeurs et consuls, amiraux et prélats de France, dès qu’ils posent le pied en Orient, n’ont qu’à entrer dans une école de Frères pour y reprendre contact avec la France. « Le doux pays de France, que nos maîtres nous apprennent à aimer, peut-être même, si les circonstances le demandent, à pouvoir servir ! » C’est sur les lèvres d’un élève des Frères de Jérusalem que le cardinal Dubois, l’amiral Mornet et Mgr Grente recueillaient, dans une séance d’accueil, cette touchante évocation de notre patrie. A peine l’orateur scolaire avait-il terminé son compliment, que retentissait une vieille chanson bretonne :


 Aux gars de Saint-Malo
Nul n’aurait le culot
De prendre, en temps de guerre ;
Leurs remparts de naguère,
Que l’Océan câlin
Baise soir et matin.


Des centaines de petits Arabes chantaient ainsi nos vieilles fiertés.

Le cardinal et son escorte passent en Egypte : au Caire, un nouvel orateur scolaire surgit devant eux, pour glorifier « la France, digue vivante, que ne put rompre le torrent germanique, et demain, pendant la paix, fleuve aux ondes généreuses, qui partout verse la fécondité. » Autre harangue, à Alexandrie : elle s’encadre, celle-ci, entre une citation de Mgr Touchet : « Dieu n’a pas inventé le moyen de remplacer la France, » et cette citation de Victor Hugo : « La France est un besoin des hommes. » Quelques jours de navigation font accoster au littoral maronite la caravane de l’Église de France, et derechef les élèves des Frères sont là, proclamant dans un discours d’apparat leur amour pour « un peuple dont le nom est franchise et la langue clarté, pour un peuple qui ne sait pas exprimer le mensonge,

  1. Actes du Congrès français de la Syrie (Marseille, 1919). Le rapport du Frère Justinus, publié dans ces Actes, donne un aperçu des œuvres de Syrie.