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ignore tout de la Turquie. Elle s’est formée dans l’étude de votre histoire. Elle s’est fondue en vous [1]. »

Lorsque après la guerre, officiers et soldats de notre corps d’occupation de Constantinople entendaient partout parler français, lorsque à Angora M. Franklin-Bouillon voyait de jeunes marchands indigènes venir lui offrir, en bon français, des curiosités du pays, les émotions mêmes que recueillaient ainsi ces Français de France sanctionnaient le succès de nos œuvres scolaires. Le 14 juillet 1920, dans les rues de Constantinople, plusieurs milliers des élèves des Frères défilaient à la suite de nos troupes : « Nous aussi, disait à l’amiral de Bon le général haut-commissaire anglais, nous pourrions faire défiler des troupes ; mais leur procurer Une telle escorte de jeunes gens, cela nous serait impossible ; » et l’on surprit plus d’une fois, sur des lèvres anglaises, le regret que le Gouvernement anglais ne disposât pas d’une milice pareille à celle des Frères.

L’Allemagne d’avant-guerre, quand elle s’occupait de construire le chemin de fer de Bagdad, quand elle jalonnait de postes allemands la longue route où elle voulait poser ses rails conquérants, rencontra, dès le point de départ des rails, le plus gênant des obstacles ; elle sentit soudainement s’insurger, contre cette audacieuse tentative de germanisation de l’Asie, une école française de Frères qui s’improvisa dans l’agglomération de Haydar-Pacha. L’Allemagne avait créé, pour les enfants des familles qui devaient travailler sur la ligne, une école allemande : elle se vida d’une grande partie de sa clientèle, du jour où nos Frères survinrent ; le Frère venu de France fut tout de suite plus populaire, parmi la gent enfantine, que le pédagogue émigré de Germanie ; et les enfants, entre eux, faisaient de la propagande pour ces maîtres nouveaux. La propagande fut si féconde, et si fécond aussi l’enseignement de nos Frères, que les capitaux allemands, quelque impérieux que fût leur règne, se sentirent définitivement impuissants, lorsqu’ils voulurent traîner à leur remorque la langue allemande. Tout le long du futur Bagdadbahn, c’était le français que l’on parlait, le français enseigné par nos Frères ; et M. Huvelin, professeur à l’Université de Lyon, racontait au Congrès français de la Syrie, tenu à Marseille en 1919, que les ingénieurs allemands

  1. René Bazin, Aujourd’hui et demain, p. 210-211.