avec une sollicitude d’autant plus fervente qu’il sentait grandir, chaque jour, comme il l’expliquait à M. René Bazin, la « concurrence acharnée, effrayante des nations étrangères : les Russes, les Anglais, les Allemands. » « Ah ! le Liban, continuait-il, si jamais un président de la République y pouvait venir, le Liban s’illuminerait ! Les montagnes descendraient ! Il y a des siècles qu’on lutte là-bas contre la France. Mais la France est dans le sang de ce peuple. » Et M. René Bazin voyait monter une larme « dans les yeux toujours calmes, toujours fermes du vieux serviteur de Dieu et de la France. »
Quelques années s’écoulaient ; l’Alliance française témoignait à l’Académie française « que c’est au Frère Evagre qu’on doit la prééminence du français encore à l’heure présente, et malgré tant de traverses et de concurrences, à Jérusalem et en Palestine. » M. Alexandre Ribot, dans la séance publique de l’Académie du 21 novembre 1912, citait ce témoignage ; il évoquait le souvenir des quarante mille enfants instruits dans les écoles qu’avait ouvertes le Frère Évagre ; il rappelait le mot de notre consul général à Jérusalem signalant ce Frère « comme un des ouvriers qui ont le mieux travaillé là-bas pour notre pays ; » et tous ces faits, tous ces hommages, éloquemment interprétés par M. Ribot, justifiaient la haute récompense que l’Académie lui décernait. M. de Grandmaison, député, s’entendait dire en Palestine, par un consul italien : « Il y a quarante ans, ici, c’était l’italien qui était parlé dans presque toutes les écoles primaires. Aujourd’hui, c’est le français ! » Le Frère Evagre avait été l’auteur de cette métamorphose. Arrivant en Palestine au lendemain même de notre défaite de 1870, il avait su donner à notre langue, à la langue d’un peuple momentanément vaincu, une allure conquérante et victorieuse ; il avait, par l’école primaire, restauré notre prestige ; remontant au delà de nos récents désastres, il avait pris acte des droits que nous conférait, sur le sol de Terre Sainte, l’ascendant moral d’un lointain passé ; et son œuvre pédagogique, en continuant notre œuvre historique, prenait l’aspect d’une besogne politique, précieuse pour la France.
Le législateur français de 1904 avait beaucoup chagriné le Frère Evagre ; mais luttant vaillamment contre toute amertume, le Frère avait continué cette besogne. « Je veux en ces contrées, insistait-il, faire aimer la France malgré elle, et si pour