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mais l’équilibre budgétaire n’est point un souci de pauvres ; avec une tenace audace, au risque de ne jamais réaliser cet équilibre, on décida de fonder, en Palestine, des écoles gratuites, et la première s’ouvrit le 15 octobre 1878. Jaffa en 1882, Caïffa en 1884, Bethléem en 1890, Nazareth en 1893, eurent à leur tour des écoles de Frères. Et sur tous ces terrains, le Frère Evagre, qui aimait à se dire religieux mendiant, et qui sans cesse comparait sa caisse à une citerne qui s’épuise, survenait en initiateur et se comportait en réalisateur. On le sentait tout prêt, d’ailleurs, à reporter sur d’autres l’honneur de ses propres œuvres, et recevant à Jérusalem, en 1898, la visite de M. René Bazin, il lui disait tranquillement de l’école de Caïffa : « Elle a été fondée, je puis le dire, par M. Gambetta. » Comme un Lavigerie en Tunisie, comme un Augouard au Congo, comme un Puginier en Cochinchine le Frère Evagre aimait collaborer avec la France officielle, pour la civilisation française et chrétienne.

Ce n’était pas tout d’entasser des pierres et de les cimenter : il fallait des hommes, pour l’enseignement dans ces écoles. Il courait à Beyrouth, il courait dans le Liban, il y cherchait des sujets pour le noviciat de Frères qu’il avait installé à Bethléem, et il les trouvait. Il avait une de ces devises qui créent le succès en le méritant. « On arrive toujours, professait-il, lorsqu’on sait pratiquement conjuguer les trois verbes suivants : vouloir, prier, agir. » Il marchait du même pas que son rêve, sans que les difficultés matérielles pussent jamais le décourager. « Jérusalem, Bethléem sont assises, écrivait-il ; il leur manque bien le pain de chaque jour, mais je sais mon Pater, et je le récite. Je cours le monde pour Nazareth ; et puis la mort ! » Il lui semblait que la Terre Sainte elle-même, et son ciel, et ses horizons, et la longue traînée d’histoire évangélique qui s’attache à ses paysages, lui commandaient, à lui Évagre, de former l’âme des populations de Terre Sainte. « Combien je suis coupable, gémissait-il parfois, d’habiter Jérusalem et de ne pas mieux méditer de si hauts enseignements ! Terre Sainte, je me rendrai digne de toi. » Et encore : « Je veux mon pays grand à l’étranger par ses œuvres de bienfaisance ; je le veux toujours aimé, près du glorieux tombeau de Notre-Seigneur, ’ que la France protège et défend depuis plusieurs siècles. »

Ses fondations couronnèrent ses résolutions ; il s’y attacha