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La tête de l’armée est formée par un escadron de cavaliers, et, au risque de tomber dans le vide, je me penche en avant pour voir de face le défilé.

Les cavaliers, des chasseurs à cheval, magnifiquement montés, occupent toute la largeur de la rue et avancent en rangs serrés sans trop presser le pas, comme en reconnaissance. Derrière eux plusieurs autos avec des généraux dont il m’est impossible de distinguer les traits : leur passage provoque une explosion d’enthousiasme, qui se manifeste par des cris de : « Vive la France ! » A toutes les fenêtres de la place, les mouchoirs s’agitent en signe de bienvenue et le papillotement de ces mouchoirs blancs évoque l’idée du printemps... Puis, pendant quelque temps, plus rien ! L’attention se fait plus anxieuse... Et tout à coup débouche un régiment, coiffé de fez, uniforme kaki, des types magnifiques, en tête un tambour-major, et, au signal qu’il fait avec sa canne, une cinquantaine de bras exécutent un moulinet ; je distingue un flamboiement de cuivres et aussitôt éclate la sonnerie des clairons. C’est la première fois de ma vie que j’entends le son des clairons français, et je suis aussitôt pris. Lorsque nos vieux Steckelburger me parlaient de ces clairons, je taxais volontiers d’exagération leurs réminiscences d’autrefois. Bien à tort, je le reconnais maintenant ; c’est prestigieux, et lorsque la musique du régiment, rentrant sur la dernière note des clairons, attaque la marche de Sambre-et-Meuse et que tour à tour les clairons reprennent le thème en fanfare, je sens un frisson d’enthousiasme et il m’échappe un : « Que c’est beau ! non, que c’est beau ! »

Et les régiments se succèdent sans interruption : marocains, chasseurs à pied, artilleurs, territoriaux, tous de solides gaillards et tous bien découplés. Jamais je n’ai vu pareil déploiement de force guerrière, mais jamais non plus elle n’a été réalisée avec autant de beauté.

Auprès de la foule, le défilé des tirailleurs marocains avec leur nouba a le plus grand succès : cette musique nasillarde et perçante a quelque chose de sauvage qui évoque l’Orient. Au passage des Annamites, quelques spectateurs se mettent à crier : « Vive le Japon ! » s’imaginant avoir affaire à nos alliés nippons.

Enfin, — et le défilé a duré une bonne heure, — l’armée de Pétain a pris possession de la ville, et les flots de la foule, contenus à grand peine jusque-là par un cordon de troupes, refluent