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elles nous semblaient tristes sous l’ancien régime ! » Les devantures des magasins sont amusantes, les unes naïves et touchantes, les autres pompeuses et tape à l’œil, avec des bustes en plâtre, dont la blancheur fait tache au milieu des emblèmes multicolores, d’un décor pompier et de mauvais goût.

Nous décidons de finir la soirée dans quelque restaurant pour y observer de plus près le mouvement ; mais nous ne tardons pas à nous apercevoir que notre projet n’est pas facile à exécuter. Tous les cafés, le Westminster, l’Odéon sont bondés ; entre les tables se presse une cohue d’officiers, de poilus, de civils, ces derniers pour la plupart des campagnards venus, comme nous, pour la fête de demain. Les enfants, un peu désappointés, commencent à se plaindre de la fatigue. Je propose d’entrer au Lüwenbraü, la brasserie allemande. Notre première impression est celle d’un désert ; pas un consommateur dans l’immense salle. Si pourtant ! Cachés derrière les colonnes, l’air contraint et humilié, quelques rares Boches sont attablés devant leurs Humpen, et de les voir si aplatis, eux qui naguère avaient le triomphe si hautain et le verbe si tranchant, nous est une revanche des nombreuses humiliations qu’ils nous ont infligées durant ces quatre années.


25 novembre. — Un coup d’œil à travers les carreaux me fait apercevoir un ciel gris d’hiver.

La toilette de Marie-Jeanne est un peu longue, car sa maman tient à faire d’elle une Alsacienne absolument authentique de la coiffe au bout des souliers. Enfin elle est habillée : son costume de Mietesheim lui sied à ravir, et elle brûle maintenant du désir de se produire dans les rues de Strasbourg.

Le temps s’est éclairci, et lorsque nous débouchons dans la rue de la Haute-Montée, nous sommes frappés de l’éclat flamboyant des innombrables drapeaux qui cachent complètement les façades des maisons. Dans la rue, les Alsaciennes foisonnent, quelques-unes d’authentiques campagnardes des environs de Strasbourg et de Haguenau, le plus grand nombre des demoiselles travesties dans des costumes de fantaisie. Les Français, peu versés en la matière, font fête aux unes comme aux autres. A tout instant, on rencontre des connaissances ; toute l’Alsace s’est donné rendez-vous à. Strasbourg. On s’aborde avec des exclamations de joie, et l’on se donne l’accolade, on