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me précipite à la fenêtre. Toute la cour est éclairée à giorno par d’innombrables flambeaux qu’agitent des gamins et des jeunes gens faisant escorte aux soldats du 133e régiment d’infanterie cantonné à Bœrsch. La sarabande sautante et gesticulante des porteurs de torches s’engage sous le porche qui, violemment éclairé, fait l’effet d’un paravent de feu devant lequel se démèneraient des diables. Le cortège, en rang de procession, tourne autour de la vieille fontaine, et ce sont, alternant avec la Marseillaise, des pris de Vive la France ! Les soldats, le calot sur l’oreille, sont flanqués de jeunes filles, de femmes, quelques-unes costumées, et tout cela respire une si franche gaîté que je ne puis résister aux invitations réitérées que me font les enfants. Je boucle la porte et va pour la joie ! Décidément, les Français ont fait tourner toutes les têtes : es geht ein anderer Luft, il souffle un autre vent, disait le vieux Dreyer en parlant des Français. Il avait, ma foi ! raison, car je vois dans le cortège ma femme au bras d’un poilu ; ma belle-sœur et Marie-Jeanne en encadrent un autre, Mme O... et ses filles, Mlle Laugel ont aussi chacune le sien, et notre bonne, que courtisaient naguère les Hongrois, n’a pas non plus l’air de s’ennuyer avec son soldat. J’emboîte le pas derrière elles et mêle ma voix au chant de la Marseillaise. Puis tout le cortège reprend le chemin de Bœrsch. Devant moi le maire, l’adjoint, le greffier marchent plus gravement, comme il sied à des autorités, mais heureux tout de même.

La soirée est douce et, tout en cheminant, j’écoute le bavardage du jeune officier aspirant qui donne le bras à ma fille. Il nous raconte ses prouesses de guerre... Nous entrons dans Bœrsch. Depuis longtemps la vieille petite ville n’a vu pareille fête : les cris, les pétards, toutes les manifestations de la joie populaire produisent un vacarme inénarrable. Arrivés sur la place, nous prenons congé de notre compagnon de route. Les torches réunies en faisceau illuminent de leurs feux mourants l’architecture bizarre de la vieille fontaine.


L’ENTRÉE DU MARÉCHAL PÉTAIN A STRASBOURG

24 novembre. — C’est par la porte de Schirmeck que nous entrons en ville. Lorsque je quittais Strasbourg, il y a quinze jours à peine, la révolution y grondait, et la tourbe débraillée