enfant, se prêtent à toutes les fantaisies et attachent à leurs capotes les bouquets qu’on leur jette ; déjà l’un ou l’autre a hissé un bambin sur sa selle. Mon ami Schultz-Wettel, le peintre, que je retrouve au milieu de la foule, me fait remarquer le pittoresque de l’ajustement ; les bidons, les musettes, les ceinturons, le harnachement, tout a un cachet imprévu et personnel qui met une grande variété dans l’uniforme. « Et regardez-moi ces types. Quels gaillards ! Tous solides et vigoureux ! Tenez, là, le noir ! A-t-il l’air crâne avec son profil de Romain ! c’est ça qui vous change des Boches ! » Et chacun dans cette foule éprouve un sentiment de fierté à voir que la réalité est bien au-dessus de l’idée qu’on se faisait de l’armée française. Nous avait-on assez rebattu les oreilles de la décadence de la race ! Je voudrais les voir ici tous ces écrivailleurs, pour entendre leurs réflexions.
Nous nous tenons aux côtés de l’officier et lui demandons ce qu’il pense de cet accueil. Il est ému aux larmes. « Les heures, dit-il, que nous avons vécues depuis ce matin sont inoubliables. De village en village, l’enthousiasme a été en augmentant. A Dorlisheim, les gens ne voulaient plus nous laisser partir. Pour nous forcer à nous arrêter, ils jetaient des pétards dans les jambes de nos chevaux. C’est ce qui vous explique pourquoi nous arrivons si tard. »
Le spectacle est plus impressionnant encore à la tombée du soir. Lorsque, au tournant du pont, le cortège s’enfonce dans la vieille rue tortueuse, illuminée d’innombrables drapeaux et de banderoles tricolores, lorsque les cloches du Kappelthurm lancent les volées de leurs sons graves et majestueux dans le cliquetis des armes, lorsque de toutes les fenêtres d’innombrables bouquets viennent s’abattre sur les soldats, que ceux-ci cueillent adroitement au passage, c’est un immense cri de « Vive la France ! » qui jaillit spontanément de toutes les poitrines.
On débouche sur la place de l’Hôtel de Ville : les hussards se déploient en deux rangs sur toute la largeur de la place et écoutent, figés sur leurs chevaux, la Marseillaise qu’exécute la fanfare municipale. Nous chantons avec force pour soutenir la bonne volonté de la foule qui, si elle sait la mélodie, n’a pas encore eu le temps d’apprendre les paroles. Puis voyant Odile Weissenburger nous faire signe de la rejoindre sur le balcon