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officier français ; il nous apparaît comme le signe tangible de notre délivrance. Mon nom ne lui est pas inconnu, me dit-il ; il a vu de mes œuvres chez M. Jaquel, le fabricant de Nazwiller, où ils ont passé la nuit. La troupe, un escadron de hussards, a quitté ce village le matin à quatre heures et devrait depuis longtemps être ici. Tout à coup on l’appelle au téléphone, et il en revient en nous annonçant qu’il faut encore patienter une heure et demie.

Nous avons attendu quarante-sept ans, nous saurons encore attendre une heure !

Nous acceptons l’invitation que nous fait notre ami, le père Weissenburger, de monter chez lui. En traversant la ville, nous admirons tout à loisir son joli pavoisement. Le temps gris et la neige fondue assombrissent les vieux toits, mais ce n’est que pour faire ressortir plus vivement l’éclat des trois couleurs. Pas une fenêtre qui n’ait son drapeau, et quand on sait les difficultés qu’il y eut à se procurer le moindre bout d’étoffe, il faut admirer l’ingéniosité et le patriotisme de ces braves gens, d’autant plus que les événements ont marché avec une rapidité telle que toute cette décoration a dû être improvisée en quelques jours.

Nous nous trouvons bientôt tous réunis dans l’hospitalière salle à manger de papa Weissenburger. Ces demoiselles, dans leurs costumes un peu légers, ont pris froid, puis le dîner a été avalé à la hâte, et la longue attente a aiguisé l’appétit : une bonne tasse de café, accompagnée du petit verre de rigueur, est accueillie avec empressement.

A ce moment de son récit, les cloches, se mettant à sonner h toute volée, nous annoncent que les Français sont en vue : tout le monde se précipite dans la rue ; le temps de voir disparaitre les deux gendarmes allemands, ombres fuyantes d’un régime à jamais aboli, et nous courons vers la route de Bischofsheim d’où doivent déboucher les troupes.

Sur le balcon de Madame B..., quelques-unes de ses amies entourent des officiers français venus ce matin ; un peu plus loin, Madame G..., la femme du juge de paix allemand, exhibe triomphalement son poupard, et nous nous étonnons du manque de réserve de cette personne qui, il y a quelques mois à peine, dénonçait les gens pour un bonjour ou un bonsoir dit en français... Mais tout le monde est trop occupé de ce qui va venir... Nous sommes dépassés par la municipalité : le vieux drapeau