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apercevons sur la route une caravane de voitures sur lesquelles flottent de petits fanions rouges : c’est le défilé des derniers Allemands qui vont dans la direction du Rhin. À ce moment, notre voisin, qui pendant toute la guerre n’avait cessé de nous dénoncer, est pris de rage et nous fait un pied de nez : ce que voyant les enfants applaudissent à tour de bras. Les soldats allemands, s’imaginant sans doute que nous manifestons ainsi la joie que nous éprouvons de leur départ, se retournent sans mot dire et nous jettent un regard de bêtes traquées. Ils doivent être habitués à ce genre de manifestations : mon ami Barthe Franzel, un ancien voltigeur, qui habite une petite maison à l’entrée de Bœrsch, est toute la journée aux aguets pour leur envoyer au passage des phrases de ce genre : « Dites donc, comment avez-vous trouvé Paris ?… Vous a-t-on assez bien régalés ? etc… »


17 novembre. — Cette nuit, les derniers Boches ont cantonné à Bœrsch. Au coup de midi, ils devront avoir évacué le Sperrgebiet. Toute la journée d’hier et une partie de la matinée, le défilé n’a pas arrêté. Il y avait des buffles, des vaches, des mulets, des voitures chargées de bric à brac, tout le butin qu’ils avaient râflé pendant quatre ans du Caucase à la Marne. Quelques soldats avaient des accordéons sur lesquels ils jouaient l’air populaire :


Muss i denn, muss i denn zum Städele hinaus !


« Faut-il donc, faut-il donc que je quitte la petite ville ! »

L’officier qui a passé la nuit chez Tante, lui a dit que les Français étaient sur leurs talons. Le même officier rencontra ma femme et ma belle-sœur qui se rendaient à la messe et avait paru interloqué quand elles avaient répondu à un Guten Tag par un : « Bonjour, monsieur ! » Alors elles lui avaient ri au nez en disant : « Iawohl, c’est maintenant bonjour, et personne ne pourra plus nous le défendre. » Quelques soldats parlent déjà de revanche, mais le plus grand nombre paraît n’avoir qu’un désir, celui de revoir le foyer.

Avant le sermon, le curé a publié qu’avant midi la contrée serait délivrée de ses oppresseurs.

Au coup de midi, une salve d’artillerie partie du fort de Mutzig nous apprend que les Français ont pris possession de la Feste Wilhelm !