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toujours que vous ne nous disiez pas votre opinion sur Mme Leriche ou Virginie.

P. MÉRIMÉE.


Dimanche soir.

Madame [1],

J’aurai l’honneur de diner avec vous jeudi. Je voulais aller vous voir, mais je me suis toujours trouvé trop mélancolique. Toutes les fois que je reviens de voyage, je suis horriblement triste et misanthrope pour quelque temps. Je crains encore que vous n’ayez marié quelques-unes de vos petites demoiselles blondes, ce qui me vexe beaucoup, car je comptais sur elles pour mon hiver.

Mme de F... nous a raconté ce soir qu’elle a une fille de sept ans qui aime les lettres et qui fait des compositions sur les sujets qu’on donne à sa sœur aînée. Le sujet donné était le plaisir d’un retour de voyage. La composition de la petite fille finissait ainsi : « En rentrant dans sa maison, il trouva un bonheur auquel il ne s’attendait pas. Sa femme avait eu deux enfants. Il en fut si heureux qu’il est mort de joie. »


Dimanche»

Mon cher ami [2],

J’attends de pied ferme les lithographies ; je vous remercie beaucoup de toute la peine que vous avez prise à cette occasion.

J’ai lu avec le plus grand plaisir les quatre volumes de M. d’Haussonville. Il a résolu, selon moi, un problème bien difficile : écrire l’histoire d’une province sans refaire l’histoire de France et sans tomber dans des détails où les provinciaux seuls se plaisent. Le style est excellent. De tout point l’auteur est un gibier académique. Mais le point important est de savoir s’il doit se présenter cette fois pour remplacer M. de Tocqueville. Je serais bien embarrassé pour lui donner un conseil. Cependant, voici mes principes en cette matière : ne se présenter carrément comme candidat que lorsqu’on a la certitude de disputer l’élection ;

  1. Cette lettre est adressée À Mrs Senior, la mère, ou plutôt, je crois, — je ne saurais le dire exactement, la lettre n’étant pas datée, — la belle-sœur de la jeune fille qui était la correspondante de Mérimée.
  2. J’ignore le nom du confrère de l’Académie française auquel Mérimée a adressé cette lettre. On comprendra que j’aime à montrer en quelle estime littéraire il tenait mon père, qui cependant n’avait point encore fait paraître son principal ouvrage : l’Église romaine et le premier Empire.