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une fille de paysans. Lui appartient à une très vieille et illustre famille. Il m’a fort intéressé et amusé. Il est d’ailleurs très beau pour un homme de 45 ans, et est encore plus grand que sa femme. Enfin, il paraît fort heureux au milieu de ses orangers et de ses bouquins. J’aimerais bien une belle fille de cinq pieds six pouces, mais j’aurais peur qu’elle me battît. Conseillez-moi, car l’exemple me touche, et je me sens souvent envie de vivre au fond des bois.

Adieu. Je ne me porte pas trop mal ici et le temps est magnifique.

Votre vieil ami,

Pr. MÉRIMÉE.


A miss Senior


22 juin 1856.

Mademoiselle,

J’espère que vous êtes tout à fait débarrassée de ces vilains spasmes qui m’ont empêché de vous offrir ce qui me reste de thé jaune.

Je vous aurais écrit tout de suite pour vous remercier de vos deux beaux volumes, mais j’ai voulu les lire auparavant, précaution que je ne prends pas avec tout le monde [1]. Il me semble que c’est supérieurement traduit. Vous avez imité au mieux la phrase courte et hachée de Napoléon. J’ai comparé plusieurs de vos lettres avec les originaux. Vous noterez que je suis très difficile en matière de traduction, et dans ma jeunesse je m’y entendais assez bien. Ce qui m’étonne, c’est que tous les Anglais ne sachent pas le français et que les gens qui lisent aient besoin de traduction. En France, personne ne sait rien, mais en Angleterre je croyais qu’il en était autrement. L’Italien a raison de dire : Tutto il mundo è paese.

Si vous n’êtes pas venue nous voir au printemps, ce n’est pas une raison, j’espère, pour ne pas venir en automne. Il est vrai qu’il y a bien peu de monde à Paris, ’ mais on trouve cependant le moyen de passer le temps. On l’a passé cet hiver de la manière la plus rude pour le pauvre monde. Je n’ai jamais tant vu de bals et de rauts. Cela me donnait des envies de me

  1. Miss Senior avait traduit un certain nombre de lettres de Napoléon Ier, dont la correspondance en 27 volumes a été publiée par ordre de Napoléon III.