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que je ne m’ennuierai pas longtemps. Amusez-vous bien en attendant et pensez quelquefois à votre vieil ami.

P. MÉRIMÉE.

Suit un petit gribouillage au-dessous duquel est écrit :

« Voilà ce que mon chat vous écrit. C’est son écriture intime, comme dit la princesse X…, mon ennemie. »


Cannes, 23 décembre 1865.

Ma chère Olga,

Vous êtes bien aimable de me souhaiter la bonne année. Je suis dans un âge où il n’y en a plus de bonnes ; c’est à vous que je souhaite toutes les prospérités possibles.

Je vous remercie des détails que vous me donnez sur la cérémonie du 18. Vous n’oubliez que deux points essentiels, le marié et la mariée. Comment était habillé le Duc ?[1] ; Je tiendrais fort à le savoir en cas de besoin. La mariée était-elle en beauté ? Je me représente assez bien le toquet en diamants de la princesse de Metternich et je pense qu’il devait avoir un grand chic. Est-ce ainsi que vous écrivez ce mot ? Nous ne sommes encore qu’à l’A de notre dictionnaire, et si je vis jusqu’au C je voudrais bien avoir un avis à donner, et une autorité aussi imposante que la vôtre.

Je suis bien fâché d’apprendre que Mme de Boigne est malade [2]. J’espère que ce n’est qu’un de ces vilains rhumes auxquels vous autres Parisiens vous êtes condamnés tous les hivers. Si vous aviez le courage de venir chercher notre soleil, vous verriez qu’il est un grand dédommagement à la solitude où nous vivons. Mais si vous veniez ici, ce serait deux soleils sur l’horizon.

Nous n’avons ici que des Anglais très vieux ou des Anglaises très laides. Il en est de même à Nice où je suis allé faire des visites l’autre jour. J’y ai fait connaissance d’un homme d’esprit, philosophe et bouquiniste. Il vit dans une petite maison de campagne avec ses livres (il en a de très beaux) et une jeune femme de cinq pieds six pouces qui ne parle guère que le piémontais en fait d’italien, et le niçard en fait de français. C’est

  1. Le duc de Mouchy, qui venait d’épouser la princesse Anna Murat.
  2. Il n’est pas besoin de dire qui était la comtesse de Boigne, née d’Osmond, dont les Mémoires en quatre volumes ont paru en 1907.