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celle des demoiselles, et je me crois des talents qui resteront malheureusement sans application. » « Si j’avais le moyen, disait-il dans une autre lettre, j’adopterais une petite fille, mais ce monde et surtout ce pays-ci est si incertain que je n’ose me donner ce luxe. » Et dans une autre lettre encore, après avoir parlé des impossibilités et des difficultés pour un homme d’avoir un ami d’un sexe ou de l’autre, il ajoutait : « Ces impossibilités et ces difficultés me font désirer d’avoir une petite fille, mais il pourrait bien se faire que le petit monstre (et ici le Mérimée railleur reprend la parole) après quelques années s’amourachât d’un chien coiffé et me plantât là. » Mérimée ne s’est pas donné ce luxe en effet, mais il a goûté l’agrément d’échanger des lettres avec deux jeunes filles, toutes deux fort dignes de ce commerce épistolaire. De ces jeunes filles, celle qu’il appelle Olga était la fille d’un diplomate qui a exercé sous le Second Empire des fonctions importantes, l’autre est la fille de Mrs Senior, la correspondante anglaise de Mérimée à laquelle il adressait les lettres autrefois publiées par moi. Olga, que j’ai connue jeune fille et qui, étant un peu plus âgée que moi, serait aujourd’hui une fort vieille fille si elle n’était morte il y a longtemps, était tout à fait charmante. Elle avait accompagné ses parents dans leurs diverses résidences diplomatiques et avait l’esprit très ouvert. Quant à Miss Senior, je ne l’ai jamais rencontrée et je ne sais rien d’autre à son sujet que ce qu’en dit Mérimée, qui lui fait compliment de sa traduction des lettres de Napoléon Ier. Cette lettre est de 1858, c’est-à-dire d’il y a soixante-quatre ans. A cette date Miss Senior n’était déjà plus une toute jeune fille. Je crains donc que l’une et l’autre correspondante de Mérimée n’aient rejoint dans la tombe celui dont on va lire les lettres charmantes.

HAUSSONVILLE.


A Olga de L...


Paris, 3 juillet 1859.

Mademoiselle,

Mon chat aurait mis la patte à la plume, s’il n’était pas si paresseux, pour vous remercier de l’offre tout aimable que vous voulez bien lui faire. Il me charge de vous présenter ses très humbles hommages et de vous dire qu’il accepte avec empressement. Il craint seulement que la gravité de son caractère, fort en rapport avec la couleur de sa robe, ne vous ennuie bientôt. De méchantes langues lui ont parlé de vos coquetteries et de votre besoin de mouvement. On lui a dit que vous vouliez plaire à tout le monde et que vous n’y réussissiez que trop bien : sur