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entraînée à la manœuvre. Le fameux virage avant le pont couvert fut pris avec un art consommé et presque sans ralentir. Aynaud-Marnière goûtait une joie inconnue à cette course dans la neige, le visage fouetté par le vent pur des cimes et caressé par un soleil déjà chaud, les yeux cueillant, comme des mains avides qui se précipitent sur les fleurs, cette splendeur des montagnes illuminées sous le ciel d’azur, la poitrine à l’aise dans le chandail de laine, l’esprit excité par le combat. Il apercevait, devant lui, le petit béret vert impassible, car le conducteur ne doit pas changer sa position. Et le petit béret montrait un sang-froid inattendu, comme un vieux capitaine de bob, freinant à peine au moment de virer de façon à conserver son allure pour aborder la ligne droite suivante en pleine vitesse.

Le bob filait si rapide que les arbres en bordure paraissaient se joindre. Il allait de ce train dévaler comme un ouragan dans Zweisimmen rapprochée. Le chronométreur qui se tenait à l’entrée du village constaterait sans nul doute son avance. Tout à coup, là, sur la route, au milieu de la route, près du but, surgit un traîneau attelé d’un cheval, parti trop tard pour gêner les bobs précédents, et que l’on n’avait pu retenir, malgré les plus suppliantes objurgations, tant la mauvaise volonté paysanne est obstinée. C’était l’obstacle imprévu. Aynaud-Marnière et le comte Moroni crurent la course perdue. Il ne restait plus qu’à freiner et échouer dans la neige sur la partie gauche du chemin, celle qui s’appuie à la montagne..

— Pas de frein ! ordonna le petit béret vert d’une voix impérieuse.

Aynaud-Marnière, qui avait déjà saisi les barres de bois, les lâcha, mais il pensa : « Elle est folle... » Le traîneau tenait le milieu de la route : on pouvait à la rigueur passer de chaque côté. A gauche, la piste n’était plus tracée et le bob serait arrêté. A droite, c’était, à la moindre erreur de calcul, le précipice et peut-être la mort. En pleine vitesse, le bob prit la droite, longea le fossé de tout près, se raffermit et franchit le but sans avoir ralenti, dans les applaudissements du public peu à peu rassemblé pour assister aux arrivées.

Les équipages précédents attendaient au grand complet la dernière course. Miss Maud penchée, avec M. Deleuze derrière elle, vit le T’en fais pas glisser en trombe. Son beau visage frais et lisse se crispa dans la jalousie. Elle croyait tenir son triomphe,