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gravissait la pente et dont le conducteur ne se dérangea pas. Car les paysans bernois goûtent peu ces exercices des étrangers. L’Anglaise, au contraire, avait glissé du haut en bas sans obstacle. Elle se déclarait sûre du succès. Et M. Deleuze ne tarissait pas d’éloges sur la fermeté, sur l’autorité de sa direction.

— On a tort de confier des instruments aussi dangereux à des femmes, confia le comte Moroni à son collègue. Elles dissimulent moins que nous leurs sentiments intimes, et nous risquons la mort rien que parce que Mlle Nicole supporte mal les caprices amoureux de son père : en quoi d’ailleurs elle empiète sur un domaine qui lui devrait être interdit.

— Bah ! répliqua Aynaud-Marnière qui commençait de se passionner pour ce duel d’un nouveau genre, nous avons, pendant la guerre, couru d’autres risques, vous dans le Trentin, et moi dans l’Argonne et à Verdun.

— Sans doute, mais c’était la guerre. Je ne tiens nullement à dégringoler ces pentes jusqu’à, la rivière pour une déception de jeune fille.

— J’ai confiance en Mlle Deleuze.

Cependant le général Harvey, toujours sérieux comme s’il accomplissait un office sacré, avait débarqué à l’heure convenue. Il plaça les chronométreurs au départ et à l’arrivée et procéda au tirage au sort. Les bobs devaient se suivre à trois minutes d’intervalle. La piste était de quatre kilomètres. Maud tira le n° 2 et Nicole le dernier.

Le bob de miss Maud, bien lancé, partit à toute allure, sous le regard de Nicole qui prenait l’empreinte d’une magnifique créature toute blanche et rose au volant, fuyant dans les bras de son père extraordinairement rajeuni par le grand air et le plaisir. Quand ce fut son tour, elle avait un air résolu qui frappa ses partenaires. Le départ du T’en fais pas fut moins brillant que celui du Victoire. Mais le petit capitaine vert était décidé à vaincre.

— Ne serrez pas votre frein, avait-elle recommandé à Aynaud-Marnière placé le dernier sur le bobsleigh. Le mien suffira. Sauf en cas de danger, bien entendu. Et attention à mon commandement, pour se pencher à droite ou à gauche selon les virages.

Dès qu’il eut bien pris la pente, le bob accéléra sa vitesse. L’équipage obéissant accomplissait les rites comme une troupe