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que peu d’années à vivre. Il va en Syrie. Il y va de son pied boiteux, très empêché, très menacé, en apparence bien démuni ; mais il porte dans sa tête sa méditation des leçons de Hasan Sabâh, qui lui a enseigné comment on devient un prophète, un despote et un dieu. Le plus misérable des hommes en apparence, infirme, sordide et sans amis, mais fanatique et le cœur plein de ruses, il chemine. Il voyage comme un mendiant, allant, selon les règles de la secte, d’affilié en affilié, leur demandant l’hospitalité, leur apportant un mot d’ordre proportionné à leur grade. Il évite de traverser les villes ; le monde musulman retentissait du bruit des sinistres exploits des assassins ; par eux la terreur régnait dans l’Asie occidentale : reconnu, il eût été arrêté et mis à mort. Des frères Ismaéliens le firent parvenir sain et sauf à Alep.

Et alors, comment il apparut dans les monts des Ansariés, comment il y fit revivre le génie du grand Hasan Sabâh, comment il y devint le Vieux de la Montagne, c’est ce que nous verrons sur place, et c’est là, dans ses châteaux légendaires, que nous achèverons de le connaître, maintenant que nous en savons assez pour nous émouvoir de retrouver, au milieu des ruines et sur un peuple dégradé, quelque chose de ces fleurs du mal dont nous venons de respirer le coupable mystère.


MAURICE BARRÈS.