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le chef. En juillet-août 1164, il ordonna de construire une chaire, sous les mura mêmes d’Alamout, et fit rassembler tout autour les habitants de son État. On dressa des tables chargées de boisson ; les musiciens jouèrent de leurs instruments ; on but du vin publiquement, et il proclama : « Je suis l’Imâm ; je dispense les hommes de toute contrainte ; j’abroge les commandements de la loi. Il faut que les hommes soient intérieurement avec Dieu, et n’attachent aucune attention au culte extérieur. »

Après ces paroles, il descendit, rompit le jeûne, commit toutes sortes d’actes défendus, et ses sujets l’imitèrent.

Ce que venait de prêcher ce nouvel Hasan s’appela la doctrine de la rénovation ; il faut être avec Dieu par le cœur,, et avoir son âme toujours tournée vers la Divinité : c’est la véritable prière. Il faut obéir au Grand-Maître. Quant aux règles, aux lois, aux coutumes, elles n’existent plus. Le péché, je le supprime. L’hérésie, dit un chroniqueur, parvint à son comble, tellement que plusieurs Ismaéliens crurent à la divinité du nouvel Hasan.

Rashid Sinan, quelle qu’ait été sa part magistrale dans ces événements, désirait s’éloigner d’Alamout. Il ne pouvait s’accommoder d’un rôle subalterne. Il se fit déléguer en Syrie par son ami d’enfance, devenu souverain. La Syrie était un territoire de grande espérance pour la secte. En quelques années, les Hashâshins venaient de s’y développer puissamment. Une mosquée à Alep, les châteaux de Masyaf, du Khaf, de Qadmus, d’OIlaïka, de Khawabi, telles avaient été leurs étapes successives. Mais ces belles possessions étaient loin d’Alamout. Elles étaient régies, au nom du Grand-Maître de Perse, par un vieillard, Abou-Mohammed, fort âgé dès cette date. Sinan n’eut pas de peine à persuader Hasan de la nécessité d’avoir là-bas un missionnaire de confiance, qui, sans réclamer de rôle public, surveillât la situation. Ses origines noséïriennes lui donnaient plus de facilité qu’à tout autre pour se mouvoir au milieu de ces populations, elles-mêmes, en grande majorité, noséïriennes, et pour harmoniser la doctrine mouvante des Ismaéliens avec les aspirations de cette vieille terre imprégnée des souvenirs du temple de Baalbek. Il sut persuader son jeune chef, et, nanti d’une délégation secrète, il quitta Alamout pour n’y plus jamais revenir.

… Partons avec lui. Détachons-nous d’Alamout, qui n’a plus