Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 15.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


HASSANN-EDDIN-SINAN A FRAPPÉ À LA PORTE D’ALAMOUT

Hasan partit pour l’enfer dans la nuit du vendredi 12 juin 1124. Ainsi s’expriment les auteurs orientaux.

Dans ses dernières semaines, il avait désigné, comme son successeur à la tête de l’ordre, Bozorg-Otpid, l’un de ses missionnaires. L’Empire au plus digne !

Par la volonté de Hasan, Bozorg-Omid régna. Et tout de suite il rejeta, renia ce qui venait d’être le testament et l’une des pensées essentielles du grand homme. Au principe du choix il substitua le principe de l’hérédité. Pour éviter le danger d’une hérédité sans génie, l’impitoyable Hasan était allé jusqu’à mettre à mort ses fils, qu’il jugeait sans doute trop faibles pour le commandement. Mais sa volonté fut sans force, dès qu’il eut disparu, et l’ordre des Assassins, qui dans son esprit devait être gouverné à vie par le plus digne, se transforma en une royauté héréditaire, au profit de l’obscure famille du missionnaire Bozorg-Omid.

Et cependant, après deux règnes, le génie vint, une fois encore, conseiller et aviver la vieille tradition ismaélienne, et il en fut ainsi grâce à la pensée de Hasan qui veillait dans la bibliothèque.

Bozorg-Omid était mort. Son fils Mohammed régnait. Un soir, vers l’année 1150, un jeune garçon vint frapper à la porte d’Alamout. Alamout avait gardé le caractère d’un refuge et aussi d’un couvent. Ce jeune garçon, de naissance noseïrienne, croit-on, arrivait de la Basse-Chaldée, et demandait d’être initié aux doctrines de l’ordre. Qu’est-ce qui plut en lui ? Sa démarche aventureuse, l’audace et l’intelligence que respirait sa jeune figure ? Mohammed l’accueillit, le fit instruire avec son fils Hasan, et le traita comme son propre enfant.

Les deux garçons travaillèrent ensemble dans la bibliothèque d’Alamout. Ils étudièrent tous les ouvrages qui avaient nourri la pensée de Hasan Sabâh, et plus spécialement ils s’attachèrent à son autobiographie, à cette fameuse Histoire de notre Seigneur. Nulle jeunesse ne connut pire intoxication que celle que se donnèrent ces deux adolescents, l’un génial, l’autre à demi aliéné. La fascination du magicien agissait encore. Le poison du mort les pervertit et les héroïsa. Ils voulurent le continuer, et