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mais le sens ésotérique consiste en axiomes de religion naturelle et en principes d’obligation universelle. Quand ses contemporains anathêmatisèrent ses doctrines et arrachèrent le voile dont il couvrait ses opinions, il sentit sa vie en péril et mit une sourdine aux audaces de sa langue et de sa plume. Il fit le pèlerinage, mais ce fut plutôt par accident que par piété… Quand il arriva à Bagdad, les hommes qui poursuivaient les mêmes études anciennes que lui se réunirent pour le rencontrer, mais il leur ferma sa porte, comme s’il avait renoncé à ces travaux et ne s’y adonnait plus. À son retour dans sa ville natale, il prit l’habitude d’assister aux prières publiques du matin et du soir, et de cacher ses opinions privées, mais ces sentiments étaient connus. En astronomie et philosophie il était sans rival et sa supériorité dans les sciences fût devenue proverbiale s’il avait su se maîtriser… »

Voilà ce que nous dit l’historien des sectes orientales, Sharastani. Et la méditation de ce texte, si riche de leçons, trouve sa place toute naturelle en marge d’une histoire des origines de cette franc-maçonnerie. Les commentateurs ordinaires de Khayyam écrivent sur lui des choses bien oiseuses, de véritables balbutiements. Cet élève de l’hellénisme (spécialement des sciences et de la politique) avait ses idées cachées sur la religion ; il est un exemple de la disposition sceptique amenée par les préoccupations scientifiques, et nul homme de jugement ne lira les quatrains sans y reconnaître une rébellion contre la pensée orthodoxe. Mais par ce grand texte sur la vieillesse prudente de Khayyam, vous pouvez juger que s’il avait les mains pleines de vérités, il ne tenait pas à leur donner l’essor. Chez lui rien de cet esprit de prosélytisme qui brûlait Hasan Sabâh. Avait-il jugé son siècle par trop incapable d’arriver à la lumière ? Plus profondément, désespérait-il de l’humanité universelle ? Plus profondément encore, ne voyait-il dans la vérité elle-même qu’un songe ? Il se tient à un carrefour d’où il commande toutes les solutions humaines, mais c’est pour conclure à l’inaction et au dédain.

Etait-il resté en relation avec Hasan ? Lui envoyait-il ses vers ? Vint-il jamais à Alamout ? Le dialogue de ces deux vieux camarades, sur le tard de leur vie, quel enseignement prodigieux ! À défaut de cette conversation décisive, le simple rapprochement de leurs physionomies les éclaire l’un et l’autre. Il