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obtient-il que pour ces jeunes athlètes le monde des représentations soit plus vrai que le monde réel ?

Tomber martyr de son dévouement était, pour un dévoué et pour ses parents, une joie et un honneur. Une mère apprend que son fils, un « fidèle, » a été massacré avec quelques-uns de ses compagnons : aussitôt elle se pare et donne les marques de la plus vive allégresse. Quelques jours après, le fils revient ; il avait par miracle échappé à la mort : la mère se coupe les cheveux, se noircit le visage et s’abandonne au désespoir… Croyez-vous que pour obtenir une telle exaltation spirituelle, il suffise de donner à quelques jeunes gens des pastilles de dawamesk, avec ou sans jardin de délices ? Un mot de Hasan nous guide vers une meilleure lumière

Parmi tous ces partisans qui venaient se jeter dans Alamout, un jour apparut l’affilié Abou el-Fazl, celui-là même qui reçut Hasan à Ispahan, lors de son retour d’Égypte. Hasan lui dit : « Tu vois ce que j’ai fait, lorsque j’ai trouvé des amis dévoués, et cependant tu me soupçonnais de folie. » Abou el-Fazl répondit avec confusion : « J’ai toujours confessé ton savoir, mais à l’esprit de qui eut-il pu venir qu’on pût amener les choses à ce point ? » Et alors Hasan de déclarer : « Tu as vu ce que j’ai fait pour la puissance. Si j’obtiens l’assistance divine, tu verras aussi ce que je ferai pour la religion. » Phrase prodigieuse, qui nous donne la clé. Hasan s’adresse aux forces religieuses dans les êtres. Il cherche l’assistance de Dieu, et veut accomplir la politique du ciel.

Combien nous sommes heureux, quand nous trouvons de cet homme mystérieux un mot qui se présente avec un caractère d’authenticité, et que nous l’entendons, — non pas d’un air joyeux et triomphant, ce serait bien mal connaître le pathétique austère de ce fanatique, mais plutôt avec quelque chose de terrible sur son visage sombre, — nous dire : « Tu verras aussi ce que je ferai pour la religion ! » Et cet esprit lui survivra, un odieux mélange d’exaltation et de fourberie. Méditez ce beau passage de nos chroniques. Deux assassins sont allés se mettre à la disposition de Saladin, qui est en péril, et pour le dégager ils tuent le chef des croisés. Alors Saladin, dans sa joie et sa gratitude, les comble de prévenances : « Demandez-moi ce que vous voudrez. Il est de toute justice que je vous l’accorde. » Et eux de répondre : « Puisse Dieu envoyer ses anges pour protéger le roi ! Ce monde