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résidence considérable, qui communiquait, par le moyen d’un escalier étroit, avec un jardin situé en dessous. La partie inférieure de la montagne a été disposée en terrasse, mais le tout est loin de répondre à la description de paradis terrestre rapportée par quelques auteurs ; le climat est réellement froid, et pendant au moins la moitié de l’année, cet endroit doit avoir été une habitation désagréable… Je n’y trouvai pas d’inscriptions. Un réservoir de bains et une vaste place sont les seules constructions maintenant existantes. »

Ce jardin et ces terrasses, distingués par le colonel, pourraient s’accorder avec ce qu’ont écrit Marco Polo et les auteurs orientaux : que Hasan, pour donner à ses dévoués un avant-goût du paradis sensuel qui les attendait, s’ils mouraient à son service, avait installé à Alamout des jardins paradisiaques et des pavillons de délices, où il faisait transporter ses hommes endormis. Réveillés dans ces lieux enchanteurs, ils y goûtaient toutes les voluptés, et quand de la même manière ils en avaient été tirés, ils étaient prêts à tout pour conquérir un séjour éternel dans ce paradis entrevu entre deux sommeils.

Tel est le récit du voyageur Marco Polo, confirmé par de nombreux témoignages musulmans. D’autres auteurs croient qu’il n’était pas besoin de jardins merveilleux, mais simplement des visions que procure le hachich. Et c’est un fait que la voix publique donnait aux Fédawis le nom de mangeurs de hachich, hashâshîn.

Hasan droguait ses dévoués. De quelque manière que ce fût, le fait ne semble pas douteux. C’étaient des énergies fouettées. Mais il avait su d’abord créer, façonner, diriger ces énergies. Il avait trouvé le moyen d’agir sur les âmes. C’est par là qu’il nous intéresse passionnément. C’est par là qu’il se range parmi les échansons de l’humanité, et que ses châteaux sont des châteaux de l’âme.

Hasan avait fait d’Alamout un refuge, où venaient le rejoindre des hommes perdus, des hommes d’aventures, des hommes d’imagination sur qui son prestige agissait. Il choisissait les plus jeunes, les plus vigoureux, les dressait aux exercices du corps, leur faisait apprendre plusieurs langues, leur donnait la formation professionnelle la mieux appropriée à leur besogne effroyable. Mais comment sont-ils prêts à mourir sur un signe ? Et à mourir joyeusement ? Par quel dressage